Je m’étais endormi et Bassekou m’a réveillé car face à lui je ne pouvais garder les yeux fermés. Bassekou fait partie de la communauté Emmaüs Roya, cette communauté qui vit de son travail, un travail dur mais enrichissant qu’y a-t-il de plus magique que d’être créateur de nourriture ? Les nôtres sèment pour que d’autres puissent manger. Une vie simple et paysanne, en lien avec le réel, avec celle qui ne ment pas ; la Terre. Bassekou est référent des poules pondeuses, tous les matins il ouvre la porte du poulailler pour qu’elles puissent gambader, il s’occupe d’elles, les nourrit, les protège, paille chaque nid, tourne et retourne avec délicatesse chaque œuf qu’il ramasse. Bassekou a 600 œufs à collecter. Bassekou travaille en silence, il écoute ses pensées tournant en boucle sur son passé ; la Lybie, le feu, ses jambes, ses orteils calcinés, sa mère, son frère, Paris, la rue, le froid, la honte, le mépris, les regards. Puis le temps s’arrête, la vie reprend, il est là, debout, et se dit qu’enfin il pourra dormir au chaud, enfin il pourra vivre ; seulement sans papier il est difficile de vivre “comme tout le monde”. Il est midi. Bassekou rentre depuis la ferme vers la Communauté, Fanta a préparé le repas, les bénévoles et compagnons sont attablés. Tous attendent Bassekou qui n’est pas encore rentré. Bassekou ne rentrera pas ce midi. Sur son vélo il pédale, la boue incrustée entre les crampons des grosses chaussures de montagne. Il croise trois véhicules de gendarmerie. Les gendarmes voient un Noir car oui en Roya il y a les Gens puis les Noirs. Le Noir est une espèce migrante non désirée que l’on tutoie, à qui on peut fouiller le sac sans même attendre l’accord, une espèce que l’on peut interpeller d’un simple bruit de la bouche, comme on appellerait un chien ou un chat, Bassekou n’est plus Bassekou, il est le Noir, l’homme qui incarne, à ce moment précis, toute la haine contre l’étranger, Bassekou n’est plus Bassekou. “Cédric la police m’a contrôlé elle veut me faire partir” Je saute dans la bagnole, pars à toute blinde, j’arrive à hauteur d’un rassemblement de gyrophares bleus scintillants. Courtois, j’explique aux gendarmes qu’il fait partie de la communauté ; rien à faire Bassekou est un ESI (Etranger en Situation Irrégulière). Je rappelle à ce gosse de 23 ans que sa mission est de contrôler le passage de frontière en gare de Breil et qu’il n’y aucune raison de contrôler un cycliste. Je demande au gendarme la raison d’un contrôle d’identité il me répond “Je vois un présumé ESI alors je le contrôle c’est mon métier”. Contrôle au faciès assumé, racisme systémique. Bassekou est un garçon fragilisé par la précarité, en voiture il panique, fait une crise d’angoisse et finit à L’hôpital. Bassekou allait mieux mais là il s’étouffe, une force l’étrangle depuis l’intérieur. Sa crise terminée il est menotté dans l’hôpital aux yeux de tous puis emmené à la PAF (Police des Airs et Frontières). Il n’est pourtant un danger pour personne, il ne dérange personne, mais il menotté dans les couloirs jaunis comme pour bien faire comprendre ; il est sans-papier, il est différent. Nous mettons la pression à la Préfecture ; “Si Bassekou n’est pas libéré d’ici lundi 9h00 nous saturons les lignes téléphoniques des divers services de la préfecture, alors des milliers de personnes “like”, “twitte” pour demander sa libération. Jamais autant de gens n’avait pensé à lui simultanément. Bassekou est alors libéré mais un renouvellement d’OQTF en poche, il est minuit je vais le chercher pour le ramener à la communauté, Bassekou est pâle, les mains tremblantes, “J’ai eu peur Cédric”. Morale de l’histoire, Bassekou est toujours sans papier, toujours dans la Roya, toujours référent des poules pondeuses mais mettra 6 mois à digérer ce nouveau traumatisme. En quelques heures la préfecture a anéanti 6 mois de travail de restauration psychologique ; pour quoi ? Pour affirmer sa domination. Emmaüs existe en conséquence d’une incompétence d’Etat. Nous ne demandons pas de passe-droit, mais de laisser vivre les Compagnes et Compagnons d’Emmaüs par leur activité silencieuse. Pour finir ce texte je voudrais saluer les personnes noires qui vivent en Roya est en particulier cette femme Nigériane avec ses deux enfants renvoyés ce même jour aux rues de Vintimille alors qu’elle était en règle mais Noire ainsi que ce jeune homme Soudanais également en situation régulière et renvoyé en Italie cette même semaine. Les Noirs en Roya sont les victimes d’une gestion racialiste ordonnée par l’Etat Français. L’extrême droite n’étant pas “encore” au pouvoir, Nous, citoyennes et citoyens Français refusons que la France dérive en dehors de ce qu’elle devrait être selon sa constitution et ses lois en vigueurs. La maltraitance ne devrait être maître en notre pays et c’est pour cela que nous nous indignons.

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