Des centaines de réfugiés syriens ont fui le Liban à destination de la Biélorussie, avec l’espoir de rallier l’Europe. La brutale dégradation de leurs conditions de vie a précipité ces départs, car le Liban s’enfonce depuis deux ans dans une grave crise économique. 

Justine Babin

5 décembre 2021 à 12h08

Beyrouth (Liban).– La Biélorussie ne devait être qu’une étape avant de gagner l’Europe, mais elle s’est transformée bourbier pour les deux fils d’Omar*, un Syrien originaire du gouvernorat d’Idlib, installé depuis le début du conflit dans son pays en 2011 à Tripoli, au nord du Liban.

Leur unique tentative de traverser la frontière avec la Pologne a été un échec. « Ils sont restés cinq jours dans la forêt, sous la pluie et dans un froid glacial, sans eau ni nourriture ; coincés entre les armées des deux pays dans la zone frontalière », raconte leur père, qui ne peut communiquer avec eux qu’occasionnellement, depuis que leurs téléphones ont été détruits par les autorités. Ils n’envisagent pour l’instant pas de retenter la traversée, assure Omar : « C’est devenu presque impossible à cause des températures négatives et des contrôles renforcés. » 

Leur retour au Liban, qu’Omar souhaite désormais, malgré la crise économique et les conditions de vie misérables, n’est pas non plus une option. En quittant le Liban, à l’aéroport de Beyrouth, Mohamed et Khalil ont écopé d’un an d’interdiction de réadmission sur le territoire ; le prix à payer pour les Syriens en situation irrégulière, soit 84 % des plus de 15 ans dans le pays selon l’Organisation des Nations unies (ONU).

Cette interdiction aurait pu grimper jusqu’à cinq ans s’ils ne s’étaient pas acquittés d’une amende. Quant à la Syrie, les deux frères qui sont recherchés pour le service militaire ne veulent pas y penser. « On pourrait toujours essayer de les faire rentrer sous les radars de Damas, puis illégalement au Liban, mais c’est très risqué », estime Omar. Bloqués depuis bientôt un mois, Mohamed et Khalil* sont à court d’options, tandis que leurs dernières économies s’envolent dans la location au prix fort d’un appartement à Minsk. Une impasse à laquelle font actuellement face nombre de migrants et en particulier les Syriens venus du Liban, bien que certains soient parvenus à traverser la frontière au péril de leur vie.

Le nombre total de Syriens partis rejoindre depuis Beyrouth les quelques milliers de réfugiés attirés ces derniers mois en Biélorussie par la perspective d’une entrée facile dans l’espace Schengen n’est pas connu.

Les données de l’aviation civile libanaise concernant la compagnie biélorusse Belavia, la seule à avoir opéré des vols directs depuis Beyrouth pendant la crise migratoire, donnent toutefois un aperçu des départs. Quelque 3 222 passagers ont ainsi embarqué à bord de ces vols entre août et mi-novembre, dont 677 en novembre.

Au cours de ce dernier mois, avant que des restrictions strictes ne soient appliquées à ces vols pour stopper la vague migratoire, « les Syriens sont devenus majoritaires à bord, remplaçant les Irakiens pour lesquels il était devenu difficile de voyager, observe le directeur de l’autorité, Fadi el Hassan. Les avions atterrissaient vides et repartaient pleins. » D’autres Syriens rapportent également s’être rendus à Minsk par des vols avec escale.

Crise au Liban

La brutale dégradation des conditions de vie des quelque 1,5 million de déplacés syriens au Liban, selon les estimations officielles, dont environ 855 000 enregistrés en tant que tels auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), a précipité ces départs. Le Liban s’enfonce en effet depuis deux ans dans une grave crise économique et de liquidités, classée par la Banque mondiale parmi « le top 3 des pires crises mondiales » depuis le milieu du XIXe siècle.

Le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, à Beyrouth, accueille aussi de nombreux réfugiés syriens. © Karine Pierre / Hans Lucas via AFP

Le prix du « panier de dépenses minimum de survie », tel que défini selon l’ONU, a ainsi été multiplié par sept. Le revenu du travail des réfugiés syriens – de 518 000 livres libanaises par mois, soit 22,5 dollars au taux du marché noir sur lequel la livre libanaise a perdu 15 fois sa valeur – n’a cependant pas suivi.

La moitié des réfugié·es syrien·nes au Liban se trouvent désormais en situation d’insécurité alimentaire.

Les ménages les plus vulnérables ont également vu chuter la valeur des aides financières distribuées par les agences de l’ONU dans le cadre du Plan de réponse à la crise migratoire syrienne, pourtant réévaluées en septembre. Au lieu des 26 dollars d’aide alimentaire mensuelle par personne distribuée avant la crise, les bénéficiaires ne touchent désormais plus que 300 000 livres libanaises, soit 13 dollars.

Pour l’assistance non alimentaire, les montants sont passés d’environ 175 dollars par ménage à 800 000 livres libanaises, soit 35 dollars. La moitié des réfugiés syriens au Liban se trouvent ainsi désormais en situation d’insécurité alimentaire.

« C’est très difficile, nous n’avons même plus de quoi assurer nos besoins essentiels », explique Omar. La crise sociale a également renforcé les discriminations à l’égard de la communauté syrienne ainsi que la peur des expulsions forcées vers la Syrie, pour celles et ceux entrés illégalement sur le territoire après avril 2019. « Je ne pouvais plus me déplacer, j’avais peur à chaque barrage de me faire arrêter », raconte Issam*.

Un désespoir dont ont su tirer parti des agences de voyage peu scrupuleuses. Wael, 25 ans, originaire de Hama, a ainsi déboursé pas moins de 4 500 dollars pour se procurer un visa valable 10 jours, ses billets d’avion et sa réservation d’hôtel. « C’est du vol », dénonce-t-il.

Les promesses d’un parcours sans embûches parviennent à convaincre un public hétéroclite. « Dans mon avion, la majorité étaient des jeunes hommes, mais il y avait aussi des familles, des bébés, des femmes seules, des personnes âgées… », explique Issam.

Esraa, 21 ans, a notamment fait le voyage avec une de ses amies, son mari et leurs trois jeunes enfants. « Une voiture devait venir nous chercher à l’aéroport et le transport devait être assuré jusqu’en Belgique, raconte-t-elle. Mon amie voulait offrir un meilleur avenir à ses enfants. »

Mais, à leur arrivée, personne ne les attend. « Nous avons essayé d’entrer trois fois en Pologne, mais nous avons été refoulés et avons eu très froid. » Dans le groupe de Wael, un enfant de quatre ans s’est noyé lors de la traversée de nuit d’une rivière glacée, et un homme âgé, malade et épuisé, s’est rendu aux autorités polonaises sans plus jamais donner signe de vie. Quelques heures plus tard, le groupe retrouvait des passeurs, direction Francfort. 

Justine Babin

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