Face à la recrudescence d’actes antisémites, la politique menée par le gouvernement français, loin de protéger les Juif·ve·s, les désigne comme cibles.

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Collectif juif décolonial

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Depuis le 7 octobre, on observe une recrudescence inquiétante d’actes antisémites. Les agressions physiques ou verbales et les graffitis à caractères antisémites se sont multipliés. Des synagogues ont été incendiées, celle de Kahal Adass Jisroel à Berlin et celle de El Hamma près de Gabès en Tunisie. Au Daghestan, l’aéroport de Makhatchkala a été le théâtre d’une émeute antijuive suite à l’annonce de l’atterrissage d’un avion en provenance d’Israël. Un climat qui plonge légitimement les Juifs et Juives de France dans l’angoisse et la colère. 

En France, ces actes témoignent de la persistance et de la circulation des idées antisémites dans la société. Leur recrudescence doit être comprise dans un contexte de très forte polarisation politique et d’embrasement en Israël-Palestine1. La réception de ces événements par le gouvernement français et son traitement médiatique est, de ce point de vue, catastrophique et irresponsable. La séquence particulièrement violente que nous traversons devrait amener les pouvoirs publics à saisir l’urgence de faire baisser la tension en garantissant l’expression légitime des émotions et des positions des un·e·s et des autres et la possibilité du débat public.

Pourtant, le gouvernement a interdit et criminalisé les expressions de solidarité et de compassion avec le peuple palestinien au nom de la lutte contre l’antisémitisme, tout en affichant un soutien inconditionnel aux opérations de l’armée israélienne et à son gouvernement fasciste. Une politique d’autant plus dangereuse que les relations entre les populations juives et arabo-musulmanes, si souvent instrumentalisées, sont déjà très dégradées. Les Juif·ve·s sont ainsi collectivement et publiquement associé·e·s par les pouvoirs publics à l’État israélien qui mène une politique criminelle à Gaza et en Cisjordanie. Les Arabes et les Musulman·e·s sont plus que jamais dépeint·e·s en classe dangereuse, ennemie de l’intérieur, gagnée au terrorisme et à l’antisémitisme. Ni les Juif·ve·s, ni les Arabes et les Musulman·e·s ne peuvent sortir gagnant·e·s d’une équation qui nourrit et l’antisémitisme, et l’islamophobie.

La lutte contre l’antisémitisme ne peut être menée en s’opposant à la solidarité avec le peuple palestinien et à la mobilisation pour un cessez-le-feu à Gaza. Elle ne doit pas, non plus, s’inscrire dans l’action d’un gouvernement engagé dans le tournant autoritaire et islamophobe. Face à la recrudescence, la priorité doit d’abord être de faire baisser la tension. La France devrait mettre tout son poids pour que  la “guerre de vengeance”, comme elle est nommée en Israël, s’arrête. Les crimes de guerre répétés d’un État se revendiquant être celui de tous les Juif·ve·s ne sont pas sans effets sur la perception des Juif·ve·s dans le monde. Sans être l’unique facteur d’antisémitisme, la politique israélienne de colonisation et d’occupation nourrit un ressentiment antijuif. En ce sens, un cessez-le-feu immédiat à Gaza doit être obtenu. 

Au-delà de ces considérations conjoncturelles, la question de l’identification de l’antisémitisme et de son étendue réelle reste un enjeu crucial. Elle fait d’ailleurs l’objet de riches débats dans le champ de la recherche et le champ militant. Le présent communiqué n’a pas pour objet de développer ces discussions. Cependant, il doit être dit que les affirmations associant les expressions antijuives des masses arabo-musulmanes, exaspérées par la politique d’occupation et de destruction de “l’État des Juifs”, à la haine raciale antisémite des peuples européens, voire carrément au nazisme, relèvent d’une instrumentalisation abusive de l’histoire et des concepts. 

Si l’idéologie du Hamas est bien pétrie d’éléments antijuifs et de représentations antisémites, l’idée qu’ils seraient les “nouveaux nazis” et que les massacres du 7 octobre soient comparables à la Shoah doit être combattue. Ce narratif, qui vise surtout à diaboliser les Palestinien·ne·s, n’offre aucune clé de compréhension des violences terribles qui ont visé les civil·e·s israélien·ne·s. Le Juif persécuté par le nazi est-il le même que le Juif ciblé par le Hamas? Si la rhétorique du Hamas emprunte volontiers des références à l’antisémitisme européen, son antijudaïsme est surtout adossé à l’association de l’identité juive au statut de colon dans le cadre des rapports sociaux engendrés par la colonisation israélienne. En contexte palestinien, les catégories “Juif” et “Arabe” renvoient d’abord à des rapports de pouvoir et de domination.

En France comme en Israël, la lutte contre l’antisémitisme est détournée par les pouvoirs publics et utilisée comme un outil de légitimation de politiques autoritaires et racistes. L’antisémitisme apparaît comme un mal anhistorique et l’antisionisme comme sa forme réactualisée. Des postulats, fort contestables, qui permettent de fondre la gauche, Hitler et les Palestinien·ne·s dans un ennemi commun. Dans ce cadre, cette “lutte contre l’antisémitisme” facilite la montée des extrêmes-droites, le renforcement de l’islamophobie et le recul des libertés politiques. Ce détournement coupe les Juif·ve·s des autres minorités nationales et des forces politiques de gauche. Pourtant, comme les autres, ils et elles paient cher le prix des politiques racistes et antisociales du gouvernement.

La captation de la mémoire de la Shoah et des termes associés à l’histoire juive européenne est une constante dans la propagande de guerre israélienne. Elle n’est pas sans effets délétères sur la lutte contre l’antisémitisme si nécessaire aujourd’hui. Dans le contexte actuel, en France, les Juif·ve·s sont d’autant plus vulnérables qu’ils et elles sont de plus en plus isolé·e·s. Il est difficile d’imaginer une situation plus confuse que celle qui s’est aujourd’hui imposée, dans laquelle la lutte contre l’antisémitisme est détournée par des acteurs politiques qui facilitent en retour la circulation de l’antisémitisme. Si la lutte contre l’antisémitisme doit être, comme le mal qu’elle combat, multiforme, sa dimension politique est centrale. Sa boussole ne peut être que celle de la justice, de l’émancipation collective et des débouchés politiques en rupture avec les structures qui produisent l’antisémitisme. Sans cela, elle est désarmée. 

Communiqué du 3/11/2023


 1 Rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, 2022.

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