Avec la hausse des prix, la coutume du « soukeurou koor », qui consiste à offrir des cadeaux à la belle-famille à l’occasion du mois saint, peut devenir un vrai fardeau.

Par Théa Ollivier( Dakar, correspondance)

.LETTRE DE DAKAR

Sur un marché du centre historique de Rufisque, au Sénégal, le 03 avril 2022. JOHN WESSELS / AFP

En ce début de ramadan, les rayons des supermarchés de Dakar, la capitale sénégalaise, débordent de paniers en osier remplis de sucre, de café, de lait, de dattes ou de chocolat. Sur les réseaux sociaux, ce sont les offres de coffrets comprenant tissus, parfum, foulard, tapis de prière et Coran qui foisonnent. A l’origine, ces paniers de ramadan, appelés soukeurou koor, étaient une tradition par laquelle les femmes mariées offraient de quoi rompre le jeûne à leur belle-famille. Mais avec le temps, les cadeaux se sont diversifiés et sont devenus plus coûteux – comprenant bijoux, vaisselle, voire parfois voiture ou billet d’avion pour La Mecque –, au point de devenir un fardeau pour certaines épouses, en particulier en cette période de hausse des prix. https://lemonde.assistpub.com/display.html?_otarOg=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr&_cpub=AAX23QE99&_csvr=040407_340&_cgdpr=1&_cgdprconsent=0&_cusp_status=0&_ccoppa=0

Coincée entre des piles de tissus wax dans son étroite boutique du marché artisanal de Soumbédioune, à Dakar, Adji Daba a déjà décidé qu’elle n’offrirait pas de soukeurou koor à sa belle-famille cette année, faute de moyens. « Au début de mon mariage, je le faisais tous les ans car c’est un geste pour gâter ma belle-mère ou ma belle-sœur », explique cette mère d’un garçon de 11 ans. Mais depuis l’épidémie de Covid-19 et la désertion des touristes étrangers, ses revenus se sont effondrés. Adji Daba a arrêté en 2021 de distribuer les paniers remplis de sucre, de lait, de vêtements ainsi que d’une enveloppe contenant de l’argent – jusqu’à 100 000 francs CFA (150 euros). « Et ce n’est pas cette année que je vais reprendre, alors que tout est devenu encore plus cher à cause de la guerre en Ukraine », se désole-t-elle.

« Je suis obligée de monter mes prix »

Dans un contexte de hausse générale des prix (+ 1,9 % pour les produits importés en janvier), déjà largement entamée avant l’invasion russe en Ukraine, les Sénégalais craignent une nouvelle augmentation du prix du pain, aliment incontournable du ndogou, le repas de rupture du jeûne. Le Sénégal importe plus de la moitié de son blé de Russie. Début mars, le président de l’Association des meuniers avait assuré que le pays avait des stocks pour au moins deux mois. Mais le prix de la baguette aavait commencé à grimper dès le mois de décembre 2021, passant de 150 à 175 francs CFA. Lire aussi Article réservé à nos abonnés La guerre en Ukraine risque d’aggraver l’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest

Fin février, le président Macky Sall avait annoncé la diminution du prix de certaines denrées de première nécessité, comme l’huile ou le sucre, pour soulager les ménages sénégalais. Pourtant, même si le chef de l’Etat a « invité le gouvernement, les importateurs et les commerçants à veiller à l’application effective et immédiate » de cette mesure, beaucoup de consommateurs se plaignent de la cherté de la vie et constatent que la tendance ne fait que s’aggraver.

Les soukeurou koor préparés par Coumba Seck, gérante de la petite entreprise Les Délices de Biscou & Seck, ont par exemple augmenté de 5 000 francs CFA pour atteindre 25 000 francs. « Le fret coûte cher, certaines denrées sont difficiles à trouver, comme le sucre », explique la commerçante. « Je suis obligée de monter mes prix sinon je ne rentre pas dans mes frais », indique-t-elle. Ses clients sont principalement des femmes mariées et des entreprises qui offrent des paniers à leurs employés. « D’autres me commandent aussi des box avec des tissus ou des chapelets que je rapporte de Turquie », poursuit Coumba Seck.

« Chacun fait avec ce qu’il a »

De nombreuses femmes n’ont pas attendu l’actuelle vague inflationniste pour renoncer à offrir ces cadeaux onéreux. « Les trois premières années de mon mariage, je donnais entre 200 000 et 300 000 francs CFA à ma belle-famille, témoigne ainsi Sadya, 38 ans, propriétaire d’une boutique de matériel prénatal. Je me privais pour trouver cet argent mais je ne me sentais toujours pas acceptée. J’ai donc préféré arrêter il y a cinq ans. » Une décision loin d’être anecdotique, puisqu’elle a depuis complètement coupé les liens avec la famille de son mari.

Entre surenchère, pression psychologique et financière, la coutume des paniers du ramadan peut se transformer en véritable corvée pour certaines femmes mariées, inquiètes de se retrouver exposées aux critiques si elles ne parviennent pas à satisfaire les attentes. « Je prenais sur mes économies pour donner à toute ma belle-famille, qui me le demandait avant même le début du mois de jeûne », explique une femme de 35 ans, qui préfère garder l’anonymat de peur d’être jugée. Depuis, cette dernière est divorcée et assure ne pas vouloir perpétuer la tradition du soukeurou koor lorsqu’elle se remariera.

D’autres femmes trouvent tout de même auprès de leur belle-famille plus de compréhension et de solidarité. Depuis bien longtemps, les maigres moyens de Ndeye Fatou Dieye ne lui permettent guère d’acheter le moindre cadeau. Et si cette mère de quatre enfants n’attend rien pour elle-même, ses belles-sœurs continuent de lui offrir des tissus ou de l’argent. « Mais dans notre famille, résume-t-elle, l’important est de rester proche de la tradition d’un ramadan simple et modeste, où chacun fait avec ce qu’il a. »

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Théa Ollivier( Dakar, correspondance)

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