Le Proche-Orient est réduit à la portion congrue dans les programmes d’histoire des lycées et collèges français. En outre, les questions religieuses ou les conflits en lien avec l’Occident sont quasiment les seuls sujets abordés, à l’exclusion de l’histoire sociale et économique qui permettrait pourtant de sortir d’une vision stéréotypée de la région.

  Nicolas Lepoutre  1er septembre 2021

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Scène de rue du vieux Caire au sud d’Al-Azhar, ca. 1934 Library of Congress, G. Eric and Edith Matson Photograph Collection

Les programmes scolaires français, notamment ceux d’histoire font généralement l’objet, à l’occasion de leur refonte, d’un intense débat intellectuel et politique. Si leur rédaction est le fruit de multiples dynamiques1, ils incarnent théoriquement un socle commun à acquérir par l’ensemble des élèves et constituent dès lors de véritables enjeux de société. Il convient donc de les interroger pour comprendre la vision du monde qu’ils véhiculent.

Cette analyse s’appuie principalement sur les programmes scolaires d’histoire de lycée général (dits de tronc commun), suivis par tous les élèves, ainsi que sur ceux de l’enseignement de spécialité « histoire-géographie-géopolitique-sciences politiques » (HGGSP) choisi par certains élèves en première et terminale. Ils sont consultables sur le site Éduscol.

Une place relativement marginale

Avant d’essayer de quantifier l’importance du Proche-Orient dans l’enseignement au lycée en France, il faut souligner plusieurs éléments. Ainsi, la répartition de certains items des programmes dans une catégorie précise n’est pas toujours aisée (par exemple, l’empire romain ou l’URSS sont à cheval sur plusieurs aires géographiques). Par ailleurs, si les programmes de la spécialité HGGSP sont très directifs, ce n’est pas aussi clairement le cas en tronc commun : les enseignants doivent obligatoirement traiter certains exemples. Mais ils y consacrent le temps qu’ils souhaitent et sont amenés à en apporter d’autres en complément.

Officiellement appelés « points de passage et d’ouverture », ce sont ces exemples qui sont pris en compte dans le tableau ci-dessous.

Répartition des items du programme d’histoire et d’HGGSP par aire géographique

Si le tableau statistique proposé ci-dessus ne prétend pas être plus qu’une approximation, on peut tout de même en tirer deux constats. Tout d’abord, le Proche-Orient n’occupe qu’une place tout à fait marginale dans l’enseignement au lycée en tronc commun et, dans une moindre mesure, en spécialité HGGSP. C’est d’ailleurs également le cas en géographie en tronc commun : si les études de cas traitées en classe sont laissées à la discrétion de l’enseignant (à condition de diversifier un minimum les aires étudiées), les textes officiels dressent tout de même une liste de suggestions (12 par an) dans laquelle le Proche-Orient est réduit à la portion congrue (1 en seconde et 1 en terminale). La région n’a pas non plus été choisie pour faire l’objet d’un chapitre spécifique.

Toutefois, et c’est le deuxième constat, le tableau montre également que cette marginalisation concerne en réalité tous les territoires extra-européens : l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique — si l’on exclut les États-Unis — ne sont guère mieux lotis. Les programmes sont ainsi très largement centrés sur l’Europe et la France.

Des thématiques très restreintes

Au-delà de la dimension purement quantitative, ce sont surtout les choix thématiques opérés par les concepteurs des programmes qui frappent. En effet, à une ou deux exceptions près, comme la question des migrations et du tourisme à Dubaï en géographie en classe de seconde, la quasi-totalité des mentions du Proche-Orient porte sur les questions religieuses ou les conflits : les croisades, le génocide des Arméniens, la naissance d’Israël, les attentats du 11-Septembre et leurs conséquences, etc.

On retrouve ainsi une vision assez stéréotypée de la région, qui est par ailleurs plus souvent étudiée à l’aune de ses relations avec l’Occident que pour ses dynamiques propres : les chocs pétroliers des années 1970 doivent être analysés en relation avec la crise économique occidentale, la révolution islamique en Iran doit être pensée comme une forme de rejet du modèle politique occidental.

Seule la spécialité HGGSP se pense comme « une ouverture sur des objets peu explorés dans la scolarité des élèves et un approfondissement de l’enseignement commun d’histoire-géographie »2, mais son public est assez restreint. Cet enseignement de spécialité a en effet été choisi par environ 35 % des élèves de première générale en 20193 et environ 26,5 % des élèves de terminale générale en 20204, et semble laisser un peu plus de place à des analyses endogènes, même si les préoccupations demeurent les mêmes (par exemple, la laïcité en Turquie ou les guerres irrégulières pratiquées par les groupes djihadistes).

Paradoxalement, ce sont presque les programmes de collège (notamment ceux de 5e et de 4e) qui rompent le plus avec cette logique, puisque les jeunes collégiens sont amenés à s’intéresser aux « premiers États » ou encore à « la naissance du monothéisme juif ».

Cette focalisation sur des sujets très restreints se place largement dans la continuité des programmes précédents du lycée, puisque le seul chapitre spécifiquement consacré à la région était alors intitulé « Le Proche et Moyen-Orient, un foyer de conflits ». Elle ne se départ pas non plus fondamentalement du traitement réservé à l’Afrique (avant tout étudiée sous le prisme de la colonisation et des conflits) ou de l’Asie — présentée comme un enjeu de la guerre froide et surtout comme le lieu d’émergence d’une puissance potentiellement dangereuse, la Chine.

Plus généralement, les programmes actuels consacrent une place extrêmement importante à l’histoire politique, accordant un large temps à l’étude des régimes politiques, des guerres ou des révolutions et évacuant presque totalement l’histoire économique et surtout l’histoire sociale ou culturelle, ce qui a fait l’objet de critiques plus ou moins virulentes de la part des principales associations disciplinaires5.

En définitive, la place du Proche-Orient dans les nouveaux programmes de lycée apparaît très révélatrice à la fois de la vision de l’histoire promue par leurs concepteurs, mais aussi des préoccupations actuelles ou des débats qui traversent la société. Il est évidemment souhaitable que les élèves puissent bénéficier d’un éclairage sur de grandes thématiques dont ils entendent fréquemment parler dans les médias et qui ne manquent pas de les interpeller, comme le terrorisme, d’autant plus que les enseignants peuvent alors en profiter pour déconstruire certaines idées reçues.

Il est toutefois dommage que l’école n’incite pas plus clairement la communauté éducative à rompre avec une vision stéréotypée de la région en étudiant aussi, dans toute leur complexité, le développement économique très rapide des pétromonarchies et les défis auxquelles elles sont actuellement confrontées, la formation des identités nationales dans le Golfe ou encore la « renaissance » intellectuelle, religieuse et littéraire de la Nahda au tournant des XIXe et XXe siècles, pour ne citer que quelques exemples possibles parmi de nombreux autres.

Nicolas Lepoutre

Professeur agrégé d’histoire.

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