Par Benoît Hopquin

Publié le 27 août 2021 à 18h00 – Mis à jour le 28 août 2021 à 06h27

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Portrait« Nos oubliées » (6/6). Cette Alsacienne n’a pas eu droit, de son vivant, aux hommages qu’auraient dû lui valoir son parcours au sein de « l’armée des ombres » et l’épreuve de la déportation.

Laure Diebold, « mort pour la France ». Sur la tombe de la résistante, depuis le temps, personne ne s’est avisé de corriger ce mâle hommage et grammatical anachronisme. Pas de féminin pour les soldats de la liberté, pour les défenseurs de la patrie, tant la lutte contre le nazisme fut longtemps résumée à des histoires d’hommes et parfois, la victoire acquise à coup sûr, à des vantardises de « mecs ». Sur la pierre funéraire, il est encore gravé qu’elle est « compagnon de la Libération ». Là encore, le masculin l’emporte. Et de combien !

Six femmes ont été reconnues dans cet ordre restreint, voulu par le général de Gaulle pendant la guerre pour distinguer les rebelles de la première heure. Six noms perdus parmi 1 038 : Berty Albrecht, Marie Hackin, Marcelle Henry, Simone Michel-Lévy, Emilienne Moreau-Evrard. Et donc Laure Diebold, qui repose là, dans le modeste cimetière Saint-Guillaume, à Sainte-Marie-aux-Mines, une petite ville du Haut-Rhin.

A l’entrée, une plaque très récente indique la présence en ce lieu de « Laure Diebold-Mutschler, secrétaire particulière de Jean Moulin ». Le tombeau est situé dans la partie est, la moitié d’enclos réservée aux protestants. La catholique Laure Mutschler se retrouve ainsi à épouser, par-delà la mort, la religion de son mari, Eugène Diebold, et de sa belle-famille, enterrés sous le même gravier gris. Quelques fleurs en plastique aux couleurs délavées sont posées au pied de la stèle. Dans un parterre d’herbes folles est plantée une photo qui représente cette femme aux yeux songeurs et à la bouche fine, ourlant un sourire énigmatique.

Pas une ligne dans « Le Monde »

Ci-gît donc Laure Diebold, résistante de 1940, secrétaire de la Délégation générale, organe central de la lutte clandestine placée sous les ordres de Jean Moulin. Une femme d’exception, dépositaire de bien des informations sur les mouvements clandestins, des secrets qu’elle refusa de livrer lors des interrogatoires de la Gestapo, qui l’avait interpellée en 1943 à Paris. Une rescapée, déportée dans plusieurs camps de concentration, dont celui de Ravensbrück, miraculée, par deux fois sauvée du four crématoire, grâce à l’intervention d’un médecin tchèque qui escamota la fiche médicale qui la condamnait, alors qu’elle n’était plus qu’une épave humaine, rongée par le typhus puis une angine diphtérique. Une grande dame, en somme, une héroïne, dont la mort, le 17 octobre 1965, n’occasionna au mieux qu’un entrefilet dans quelques titres de la presse nationale et pas une ligne dans Le Monde.

Comme elle avait exigé une cérémonie sans fleurs ni couronnes, elle avait voulu pour dernière demeure ce cimetière simple et propret. Un lieu sans prétention, à son image. « Mme Diebold est extrêmement modeste et trop fière pour entreprendre quoi que ce soit pour réclamer son dû », écrivait en 1949 un correspondant qui sollicitait pour elle la Légion d’honneur. Il y a de ces deux ingrédients dans le dépouillement de cette tombe, de l’humilité et de l’orgueil, la conscience de qui sait en son for intérieur avoir bien agi sans avoir besoin de quérir une reconnaissance extérieure. Sa discrétion était notoire. Cet incognito fut, dans la clandestinité, une règle de survie. Il devient aujourd’hui un casse-tête quand il s’agit de s’atteler à sa biographie et de ramasser les rares indices laissés en chemin.

Laure Diebold (photo non datée). COLLECTION MUSÉE DE L’ORDRE DE LA LIBÉRATION / WWW.ORDREDELALIBERATION.FR

Devant cette stèle ordinaire, l’esprit ne peut s’empêcher d’établir une comparaison avec la pompe qui présida à l’entrée au Panthéon, le 19 décembre 1964, de son ancien chef, Jean Moulin. On se souvient de ce qu’un autre compagnon de la Libération, Daniel Cordier, secrétaire, factotum du patron de la résistance intérieure, nous avait confié quelques années avant sa mort, en 2020. La veille de la panthéonisation de Moulin, le cercueil enfermant les cendres présumées du martyr avait été transporté sur les marches du monument de la montagne Sainte-Geneviève. Les grands noms de la Résistance étaient présents, bien visibles, peut-être pour faire oublier comment ils s’étaient si souvent, si longtemps et si violemment opposés à celui qui était honoré, vingt ans après sa mort.

Des tours de garde avaient été organisés au pied du catafalque. Au fidèle Daniel Cordier échut le créneau ingrat de 2 heures à 3 h 30 du matin. Sur la place déserte, par un froid de gueux, il retrouva la petite équipe de la première heure, cet embryon de secrétariat qui était réuni à Lyon, à l’été 1942, autour du délégué général de Charles de Gaulle. Il y avait là Hugues Limonti, ouvrier chez Berliet, Suzanne Olivier-Lebon, jeune fille de bonne famille, tous deux agents de liaison, et Laure Diebold, la sténodactylo, « une merveilleuse secrétaire », dixit le témoin. Ils étaient « Germain », « Suzette » et « Mado » dans la clandestinité, tandis que Daniel Cordier, le gosse de riche, le militant repenti de l’Action française, était « Alain ». Le quatuor ne connaissait alors que les pseudos du chef : « Rex » puis « Max ».

De cette bande, seul Daniel Cordier avait échappé à l’arrestation. Il avait vu avec joie les autres revenir des camps de la mort, au printemps 1945. Puis il les avait plantés là abruptement, quelques mois plus tard. Le survivant racontait comment, sans doute vers la fin de 1946, il les avait réunis dans une chambre de bonne. « Suzette » était allongée sur un lit car trop affaiblie par les sévices pour tenir debout. « J’ai tout coupé, se souvenait Daniel Cordier. Je leur ai dit : Bon, maintenant, la guerre est terminée. Chacun organise sa vie comme il veut. C’est fini. » Suzette avait protesté. Il était resté intraitable, dans l’impétuosité de ses 24 ans. « Je ne voulais pas être un ancien combattant brandissant son drapeau comme ceux de la guerre de 14 dont j’avais le souvenir, se justifiait-il. Je trouvais insupportables ces gens qui passaient leur temps à radoter. »

Au crépuscule de son existence, il s’en voulait de cette rupture. « Je le regrette », avouait-il, observant, de son appartement cannois, la mer et peut-être quelque chose au-delà. Cette nuit de décembre 1964, sur les marches du Panthéon, il retrouvait le groupe qu’il avait si brutalement dissout. Ces quatre-là représentaient bien ce « peuple de la nuit », ces « ombres » saluées par André Malraux dans sa célèbre oraison. L’œil aux aguets, la peur au ventre, ils avaient œuvré dans le sillage de Moulin, sans prétendre s’attirer une once de gloire.

Attachée à la France

Laure Diebold fut de ces humbles rouages. Née Laurentine Mutschler, à Erstein (Bas-Rhin), le 10 janvier 1915, elle est allemande, de papiers mais non de cœur. Depuis le désastre de 1870, sa famille est restée profondément attachée à son ancienne patrie, la France. Un oncle a même traversé la ligne de front pour combattre dans les tranchées sous l’uniforme bleu horizon. Après l’Armistice et le retour de l’Alsace dans le giron national, l’enfant devient citoyenne française à la fin de 1918 et ne se fait bientôt plus appeler que Laure.

La famille quitte Erstein en 1920 pour s’installer à Sainte-Marie-aux-Mines. La cité ouvrière et toute la vallée alentour, le val d’Argent, vivent des mines d’où est extrait le précieux métal et surtout d’une florissante industrie textile, dont il ne reste aujourd’hui que quelques cheminées mortes défiant le ciel. Les Mutschler emménagent rue Jean-Jaurès, au 46 d’une enfilade d’immeubles ouvriers qui sont désormais largement à l’abandon.

A 19 ans, Laure obtient un diplôme de sténodactylo et travaille successivement dans plusieurs établissements textiles de la région. Elle se fiance dans les années 1930 avec Eugène Diebold, le secrétaire de la mairie. Après l’invasion par la Wehrmacht en 1940, Sainte-Marie-aux-Mines, comme toute l’Alsace, est annexée par le Reich. Un réseau de résistance s’organise. Laure Mutschler le rejoint d’emblée. « Elle s’est levée, immédiatement », résume Vladimir Trouplin, conservateur du Musée de l’ordre de la Libération. La frontière avec la France est installée juste au-dessus de la commune. Laure Mutschler héberge et fait passer de jeunes Alsaciens réfractaires ou des prisonniers de guerre évadés.

Mais son activité est repérée par la police allemande. Elle doit à son tour traverser clandestinement la frontière, à Noël 1941, puis passer en zone sud, sous administration de Vichy. A Lyon, elle retrouve son fiancé, lui-même prisonnier de guerre évadé, qui s’est installé dans la ville quelques mois plus tôt. Elle travaille avec lui au service des réfugiés d’Alsace-Lorraine. Laure Mutschler et Eugène Diebold se marient le 31 janvier 1942. Ils rejoignent très vite un nouveau réseau, Mithridate, qui fait du renseignement militaire pour le compte de l’Intelligence Service, le service d’espionnage britannique. Soupçonnés par la police de Pétain, les Diebold sont arrêtés le 18 juillet, interrogés puis relâchés le 24, faute de preuve. Ils se mettent un temps au vert à Aix-les-Bains, près de la frontière suisse. Laure entre alors dans la clandestinité sous un premier pseudonyme, « Mona ».

« Mado », agent 8382

Elle revient bientôt à Lyon avec son mari. Début août 1942, alors que Daniel Cordier est chargé par Jean Moulin d’organiser son secrétariat, Laure Diebold, de cinq ans son aînée, lui est présentée. « Dès l’arrivée de la jeune Alsacienne, je suis conquis, écrira « Alain » dans le premier tome de ses Mémoires, Alias Caracalla (Gallimard, 2009). Elle est menue et petite, en dépit de talons rehaussés. Mais avec son visage expressif, son regard ardent, sa poignée de main énergique, elle respire la franchise et la volonté. […] Je lui explique son travail – dactylographier télégrammes, lettres et rapports, tenir la comptabilité et m’aider à chiffrer et déchiffrer les textes échangés avec Londres. » L’auteur poursuit : « Je lui annonce qu’elle touchera, comme moi, 1 200 francs par mois. Elle rougit :

– Je ne fais pas ça pour l’argent.

– Je sais bien, mais il faut vivre, et vous n’aurez pas d’autres ressources. […]

– Quand dois-je commencer mon travail ?

– Aujourd’hui, si c’est possible. »

Laure Mutschler et son fiancé, Eugène Diebold, à Colmar, le 18 octobre 1941. © COLLECTION PARTICULIÈRE / DRR

Laure Diebold tape en deux heures un premier long rapport que Daniel Cordier remet le soir même à Jean Moulin. « C’est parfait », décrète « Rex ». La voilà embauchée. Pour le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), les services secrets de la France libre, elle devient « Mado », agent 8382, avec le grade de lieutenant, le même que Daniel Cordier.

Elle travaille d’abord dans son appartement, à Villeurbanne, puis dans des bureaux dénichés vers la place des Terreaux, au centre de Lyon. Elle ne rencontre « Rex » qu’une seule fois, le 8 décembre 1942, quand elle se rend avec sa machine à écrire Remington dans un appartement où Moulin la rejoint pour qu’elle tape un rapport urgent. Cette tâche accomplie, elle sort seule, bientôt suivie par Moulin et Cordier. Le trio se retrouve dans la même rame de tramway, eux derrière, elle devant, faisant mine de ne pas se connaître.

« Si elle est arrêtée, croyez-vous qu’elle tiendra le coup ? », demande Moulin. « J’en réponds comme de moi-même », assure Cordier.

« Jamais Mado ne s’est plainte de ces tâches, dont une partie s’effectue le dimanche et qui, en semaine, l’obligent souvent à veiller le soir », écrit-il encore dans Alias Caracalla.

Avec le temps et l’essor de la Résistance, le secrétariat s’étoffe et compte bientôt une quinzaine de personnes. Mais « Mado » en reste « la pierre angulaire » (Cordier). Son mari, Eugène, est recruté comme agent de liaison. Quand Jean Moulin est nommé, en mars 1943, délégué général de De Gaulle pour tout le territoire français, « Mado » est envoyée avec « Alain » (Daniel Cordier) à Paris, tandis que « Germain » (Hugues Limonti) et « Suzette » (Suzanne Olivier-Lebon) font la liaison entre la capitale et Lyon.

Laure Diebold habite alors chez son frère, René Mutschler, à Fontenay-aux-Roses, et travaille dans des bureaux installés rue Vavin puis rue de la Pompe, à Paris. De là, elle continue à taper et coder tous les rapports de « Rex ». Parmi ceux-ci, l’annonce de la première réunion ultra secrète du Conseil national de la Résistance (CNR), le 27 mai 1943 à Paris, dans un appartement où se retrouvent les chefs de tous les réseaux clandestins et des personnalités politiques de premier plan. Elle voit ensuite passer entre ses mains le compte rendu de ce rendez-vous décisif. Elle se trouve ainsi dépositaire des informations les plus sensibles sur « l’armée des ombres ».

Souricière

Mais la Gestapo se rapproche, ses opérations déciment les rangs. « Suzette » est arrêtée le 11 juin. Jean Moulin tombe à son tour, le 21 juin 1943, à Caluire-et-Cuire, près de Lyon. « Mado » poursuit son travail avec ses successeurs à la tête du CNR, Claude Bouchinet-Serreules puis Georges Bidault. Le 25 septembre, Daniel Cordier se rend dans les bureaux de la rue de la Pompe, raconte-t-il dans le deuxième tome de ses Mémoires publié en juin 2021, La Victoire en pleurant (Gallimard, 336 pages, 21 euros). « Après mon coup de sonnette, je n’entends pas Laure quitter son bureau, avec ses semelles en bois qui martèlent le parquet lorsqu’elle marche […]. Aujourd’hui, aucun bruit. » Inquiet, il s’éclipse. Bien lui en prend. La veille, les Diebold sont tombés dans une souricière, le même jour qu’Hugues Limonti, l’ouvrier de Berliet.

Laure et Eugène sont conduits à la prison de Fresnes et interrogés. L’homme, qui ne savait rien, est sauvagement torturé, à onze reprises. La femme qui en savait tant avoue d’emblée son appartenance à la Résistance mais, subtil mensonge, ce n’est que pour se faire passer pour une sous-fifre ignorante, une simple boîte aux lettres. Les policiers allemands la croient, sous-estimant la valeur de leur prise.

Le 17 janvier 1944, Laure Diebold est jetée dans un train de déportation. Des mois durant, elle est ballottée entre Sarrebruck, Strasbourg, Schirmeck, Gaggenau, Mulhouse, Berlin, Ravensbrück, puis finit dans le terrible commando de Taucha, dépendant du camp de Buchenwald. Eugène, lui, est envoyé à Buchenwald puis à Flossenbürg. Hugues Limonti est interné à Buchenwald, tandis que « Suzette » a été expédiée à Ravensbrück. A Londres, où il s’est replié en mars 1944 et est devenu le chef de cabinet du colonel Passy, patron du BCRA, Daniel Cordier est sans nouvelles de son ancienne équipe.

Le 20 novembre 1944, Laure Diebold, Hugues Limonti et Daniel Cordier sont faits ensemble compagnons de la Libération. Dans les archives de l’ordre, la proposition de décoration concernant « Mademoiselle Mado » date d’avril 1944 et est signée de Passy. Elle est rédigée au passé, comme à titre posthume

Le général Legentilhomme décore Laure Diebold de la croix de la Libération dans la cour des Invalides, à Paris, le 18 juillet 1946. COLLECTION PERSONNELLE DANIEL CORDIER

Laure Diebold réchappe pourtant des camps de la mort. Libérée par les Américains en avril 1945, elle rentre à Paris le 16 mai, terriblement diminuée, avec dans sa poche des petits drapeaux tricolores marqués d’une croix de Lorraine et un chapelet qu’elle a confectionnés dans son « block » (ils sont visibles au Musée de l’ordre de la Libération, aux Invalides). Son mari rentre le 18 mai, lui aussi en piteux état. Ils se retrouvent après vingt mois de séparation. Commencent alors une longue convalescence et un oubli plus long encore. Ils ont tout perdu.

Laure Diebold vit dans des conditions sommaires, occupant dans la maison de son frère, à Fontenay-aux-Roses, une dépendance présentée comme un garage et ironiquement baptisée par le couple « villa Ravensbrück ». Elle n’a même pas un manteau pour l’hiver, raconte un journaliste de France-Soir qui s’alarme, en 1949, du dénuement de cette héroïne. « Laure ne forme plus qu’un souhait : trouver à Paris un petit appartement quand les ayants droit de la Libération auront tous été servis. » Les autres d’abord, encore et toujours.

Bardée de décorations

Elle est affectée à la direction générale des études et recherches (DGER) qui succède au BCRA et deviendra ensuite le service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE). A partir de là, les sources divergent. Pour les unes, Laure Diebold occupe cette fonction jusqu’en 1957. Pour d’autres, après le départ de Daniel Cordier de la DGER en 1946 et sa rupture brutale avec le groupe, elle rejoint le secrétariat de la présidence du Conseil, mais rien dans les archives ne permet de l’attester.

Tout juste est-on sûr qu’en 1947, elle est à Moscou, à l’occasion de la conférence sur la paix organisée dans la capitale soviétique, accompagnant Georges Bidault, son ancien patron du CNR, devenu ministre des affaires étrangères. Elle quitte cette fonction officielle en 1950 pour travailler avec son mari dans une usine de tissage à Etueffont-Bas, dans le Territoire de Belfort. Les deux versions se raboutent ensuite, en 1957. Cette année-là, le couple retourne s’installer à Lyon, et la femme devient secrétaire et bibliothécaire de la société Rhodiacéta. A l’époque, les Diebold et leur chien occupent un petit pavillon au 77, rue Pierre-Audry.

De rares photos la montrent dans des cérémonies officielles, avec ses éternels talons compensés et souvent le même manteau, bardé de décorations. Elle ne les a pas volées, ces médailles ! Il faudra pourtant l’intercession répétée de proches auprès des autorités pour qu’elle les obtienne. Idem pour la Légion d’honneur qui ne lui sera attribuée qu’en 1957. Jamais elle ne réclamera quoique ce soit.

La captivité l’a profondément affaiblie, ce qui justifiera la mention « mort pour la France », évoquée plus tôt. A la mi-octobre 1965, elle rejoint des amis en Saône-et-Loire au moment des vendanges. C’est là – ou à son retour dans son pavillon lyonnais, les versions divergent à nouveau – qu’elle meurt subitement le 17 octobre. Moins d’un an après la panthéonisation de Jean Moulin, elle est célébrée avec les honneurs militaires dans la cathédrale Saint-Jean de Lyon puis enterrée modestement à Sainte-Marie-aux-Mines, où son mari la rejoindra en 1977.

Laure Diebold vers la fin des années 1950 / début des années 1960 – Coll. Georges Jung / reproduction Archives du Val d’Argent – S.D. (vers 1955-1960)

Laure Diebold disparaît des mémoires, n’émergeant qu’en filigrane de quelques livres sur Moulin. A partir de 2008, une pugnace écrivaine alsacienne, Anne-Marie Wimmer, tente de la sortir de ce trou noir, après avoir croisé son destin au hasard d’une monographie de sa ville natale, Erstein. Mme Wimmer laboure les maigres archives sur les traces du personnage, interroge la famille et les amis, et en tire une enquête biographique, Code : Mado. Mais qui donc est Laure Diebold-Mutschler ? (Ponte Vecchio éditions, 2011).

Car l’Alsace est restée fidèle à son enfant. « Ici, on ne l’a pas oubliée », assure David Bouvier, chef du service archives et patrimoine du val d’Argent, qui nous a rejoints devant la tombe de Laure Diebold. Il nous conduit à la mairie de Sainte-Marie-aux-Mines et exhume des archives les multiples témoignages en ce sens. En 1982, une place et un monument à son nom sont inaugurés. Une plaque a été apposée au pied de la maison familiale, au 46 de la rue Jean-Jaurès. Erstein lui a également consacré une rue. Lyon et Paris mettront un peu plus de temps à réagir.

Modestie

Pourquoi une telle amnésie nationale ? « Parce que c’était une femme », estime David Bouvier. De fait, malgré des tentatives récentes de réévaluation de leur rôle, l’apport des résistantes dans le combat clandestin reste réduit aux acquêts. « Il y a aussi le fait qu’elle soit alsacienne », ajoute l’interlocuteur. Et de rappeler que, dans les années 1950, le procès très médiatisé des « malgré-nous » alsaciens impliqués dans le massacre d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944, avait terni contre toute justice et contre toute vérité historique la réputation d’une région entière. L’archiviste note que sur les six femmes désignées compagnons de la Libération, une était alsacienne (Laure Diebold) et une autre mosellane (Marie Hackin).

Anne-Marie Wimmer avance une autre explication dans son livre. Elle reproche à Daniel Cordier d’avoir minimisé le rôle de « sa » secrétaire. « Mado » n’apparaît qu’en pointillé dans des Mémoires qui font aujourd’hui référence. « Il ne parle pas énormément de Laure Diebold, sans doute pas à la hauteur de son rôle », admet Vladimir Trouplin, le conservateur du Musée de l’ordre de la Libération.

Mais, à sonder les archives de l’ordre, on découvre que le respect entre les deux personnages était réel. Dans un courrier du 12 mai 1945, Daniel Cordier s’enquiert du retour de captivité de Laure Diebold. C’est lui qui la fait embaucher à la DGER. En 1946, elle demande que la cérémonie où doit lui être remise la croix de la Libération soit organisée en même temps que celle de Limonti et de celui qu’elle appelle affectueusement « Dany ». Dans un courrier des années 1970, Daniel Cordier propose de prendre à ses frais la restauration de la tombe de « Mado ».

« Pour qu’une mémoire vive, il faut qu’elle soit portée par quelqu’un, constate Vladimir Trouplin. Or Laure Diebold n’a pas eu d’enfant et n’avait pas d’apparentement politique. » De retour sur le devant de la scène avec la IVe République, les partis ont, chacun, promu les martyrs issus de leur rang. Laure Diebold n’appartenait à aucun d’entre eux, tout comme Jean Moulin, dont le rôle fondamental n’aura été reconnu qu’après le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958.

« Elle n’est pas la seule à avoir été oubliée », ajoute M. Trouplin. En 2007, l’ordre de la Libération a ainsi déposé une requête en « déclaration d’absence » avant de pouvoir considérer morts, par défaut, quatre compagnons dont on avait entièrement perdu la trace. Si Daniel Cordier eut le droit à tous les honneurs en 2020, il n’en fut pas de même d’Hugues Limonti, mort en toute discrétion en 1988, après avoir repris, à la Libération, son travail de mécanicien. Quant à Suzanne Olivier-Lebon, elle avait, elle aussi, disparu des annales. Il nous a fallu appeler l’état civil de la mairie de Clermont-Ferrand, sa ville natale, pour apprendre qu’elle était décédée en 1968 – comme le mentionne une phrase griffonnée à la main dans la marge d’un registre –, à l’âge de 45 ans, épuisée par les conséquences de la déportation.

La modestie honore une personne, selon l’expression consacrée. Elle peut aussi nuire à sa connaissance, pourra-t-on regretter à propos de Laure Diebold. Dans les réunions du souvenir, les officiels devaient aller chercher au milieu de la foule cette femme menue et la pousser au premier rang. Quand elle a su, au retour de déportation, qu’elle avait la croix de compagnon de la Libération, sa première question a été : « Faut-il la payer ? » Comme si, ayant montré tant de mérites, ce n’était déjà amplement fait.

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