Philippe Colin producteur sur France Inter diffuse depuis quelques jours une série d’émission sur Jean-Marie Lepen. Hier soir, jeudi 4 août, il a abordé la question de la torture en Algérie affirmant qu’on ne pouvait prouver que Lepen avait bien pratiqués la torture mais qu’en revanche, il l’avait à minima totalement justifié. Nous, Ancrage, avons publié en 2021 un hors série intitulé AlgérieS qui contenait entre autres un entretien avec Jacques Lebleu qui fut longuement et douloureusement témoin des actes de torture infligés par Lepen. Ci dessous son témoignage. recueilli par mes soins. Quelques mois plus tard, Jacques Lebleu nous quittait. Vous pouvez retrouver ce texte et de nombreux autres témoignages et portraits sur cette période dans le hors série AlgérieS, encore dans les bonnes librairies et sinon commandable sur ce site ancrage.org. Jean-François Meekel

Témoignage : Jacques Lebleu infirmier pendant la guerre d’Algérie chargé de réanimer les victimes des tortures d’un certain Jean-Marie Lepen.   

Jacques Lebleu (Photo JF Meekel)

« J’étais le plus grand, on m’a mis en tête de section mais comme je ne faisais rien de ce qu’ils attendaient, on m’a recasé dans le service infirmier ». Toujours grand, Jacques Lebleu né en 1930 à Roubaix, vieil homme émacié, le regard encore vif derrière ses lunettes, finit ses jours dans une maison de retraite   à Castres en Gironde au côté de la femme qu’il a épousé il y a 60 ans. Sans doute pour la protéger, il ne lui a d’abord rien dit, supportant seul ses souvenirs, fardeau trop lourd, avec un sentiment de culpabilité. Sursitaire après des études d’architecture, réfractaire à l’EOR (école des officiers de réserves) comme au peloton, Jacques Lebleu fut donc deuxième classe dans la Compagnies des Services, en l’occurrence infirmier. Il fit ses années de service obligatoire en Algérie d’octobre 1955 à décembre 1957 au 19e génie basé à Hussein-Dey près d’Alger. Pour son malheur, c’est là aussi que sévit le lieutenant Jean-Marie Lepen. Député élu à la proportionnelle sur une liste CNIP, il avait obtenu de l’assemblée nationale l’autorisation de s’engager comme volontaire en Algérie pendant 6 mois.     

« J’ai du mal à l’exprimer…Il y a des choses extrêmement tristes qui vous poursuivent toute une vie.  Il m’a semblé que c’est peut-être un moment important d’en parler car on a des inquiétudes comme on a toujours eues par rapport au FN. Le FN pour moi c’est le lieutenant Jean-Marie Lepen sacrifiant… participant sinon dirigeant des supplices dans la banlieue d’Alger à Hussein-Dey précisément, c’est un monsieur qui se pointait la nuit de préférence -c’est mieux qu’on ne le voit pas-dans une Citroën noire ; j’ai tous les détails en tète tellement ça a été dur. Quant à moi en face de lui, ça s’est passé de façon assez horrible, ça m’a poursuivi toute ma vie j’en ai parlé tout le temps, au maximum de gens car ce M Lepen, lieutenant Lepen -à chaque fois j’en suis ému -c’est un monsieur qui ne se privait pas d’employer tous les moyens pour faire parler.

En face de lui moi qui était antimilitariste…comment j’étais arrivé à être infirmier : parce que j’étais sursitaire. Je me suis trouvé dans le cadre de ces interrogatoires chargé de réveiller les gens qui étaient sur le point de trépasser. Je vais vous lire le principal, un document écrit en 2016 avant d’être malade : (1) « Nous sommes à Alger en 1955, caserne du génie à Hussein-Dey. Le soir, la nuit tombée, une traction Citroën arrive. Je suis de garde, chargé de « pourvoir aux soins éventuels » en tant qu’infirmier. Le lieutenant Jean-Marie Lepen arrive, entouré de ses sbires : il procède aux interrogatoires. Il ne faut pas que ses modes de torture laissent de traces : c’est la gégène qui domine, quand ce n’est pas le secteur…J’attends derrière un rideau : je suis chargé de réveiller le supplicié. On me l’apporte dès qu’il revient à lui, je le pousse à fermer les yeux pour retarder le retour au supplice, ce souvenir me tiraillera jusqu’à la fin de ma vie » (fin du témoignage écrit)

Et moi je faisais le maximum pour retarder le réveil. Je voyais ce qui se passait, la planche inclinée avec des clous, on faisait basculer la tête en bas, dans l’eau, quand il n’était plus présentable, on le larguait en mer.  Cela se passait sous la scène du foyer de la caserne. Puis on mettait les interrogés dans des trous de sable avec des barbelés dessus au soleil.  Tout se passait ainsi de sorte que quand on voit Lepen et son parti changer de nom, c’est que son passé n’était pas beau

Au début, je ne pouvais pas en parler sans chialer,

Un oncle qui était inspecteur dans l’enseignement dans le Nord m’a dit au retour :  ne parle pas de ça ; si un jour   tu veux travailler dans l’administration, tu ne trouveras pas de place. »

Jacques Lebleu n’était alors pas militant mais au retour d’Algérie poussé par ce qu’il a vu et vécu, il s’est engagé au pc.   

« L’homme peut être dégueulasse, capable du pire et du meilleur mais souvent du pire, l’homme est moche » conclut avec amertume le vieil homme au soir de son existence.  

Jean-François Meekel

(1) Une lettre/témoignage de Jacques Lebleu a été publiée dans un hors-série spécial Algérie de l’Humanité en 2000.

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