Avec le drame qui se déroule à Gaza, les élites occidentales revivent leurs passés et laissent parler un racisme profond devenu inavouable chez elles.

Denis Sieffert • 31 octobre 2023

Article paru
dans l’hebdo N° 1782

Les Occidentaux dans le miroir du conflit israélo-palestinien
Manifestation de soutien aux Palestiniens, place de la République à Paris, le 22 octobre 2023.
© Maxime Sirvins

Qui peut arrêter le bras criminel du gouvernement israélien ? On connaît la réponse, pour l’heure toute théorique : les États-Unis le pourraient et, à un degré bien moindre, l’Union européenne et, enfin, l’opinion israélienne, si celle-ci venait à se retourner franchement contre Netanyahou et son clan de voyous. De Washington et de l’Europe, il faut attendre peu de choses. Les grandes puissances sont complices depuis tant d’années de tout ce qui a précédé ce 7 octobre maudit. À part le plan Rogers en 1970, aussitôt initié et aussitôt détruit par le Sénat américain, et la conférence de Madrid imposée à Yitzhak Shamir par George Bush père en 1991, les États-Unis n’ont jamais levé le petit doigt pour empêcher la colonisation.

Seules pourraient les faire bouger les opinions publiques et une aggravation de la fracture avec le monde arabe et musulman. La gigantesque manifestation d’Istanbul est à cet égard un terrible avertissement. L’une des fautes morales majeures des Occidentaux est d’avoir institué Israël en représentant officiel du judaïsme. C’était audible quand Israël avait le visage de Ben Gourion, mais quand c’est Netanyahou et Ben Gvir, un corrompu et un fasciste, le désastre moral est absolu. Il faut dire que la France de Sarkozy, Hollande et Macron a été en pointe dans la production de cet amalgame qui met en danger les communautés juives partout dans le monde. Les pogroms, ces jours-ci dans la république caucasienne du Daghestan, rappellent les violences anti-juives de la fin du XIXe siècle en Pologne et en Russie.

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Mais alors, pourquoi cet engagement occidental corps et âme avec Israël ? Comment expliquer cette obstination dans le soutien à une politique qui provoque tant de catastrophes ? En fait, c’est la définition même de l’Occident qui est en cause. Avec le drame qui se déroule à Gaza, les élites occidentales revivent leurs passés, et laissent parler un racisme profond devenu inavouable chez elles. Le gouvernement de Netanyahou renvoie à des séquences parmi les plus honteuses de notre histoire. C’est notre passé. Mais c’est peut-être aussi notre avenir, si on en juge par la progression des populismes et des extrêmes droites. Les Arabes, les Indiens d’Amérique, auxquels on compare souvent les Palestiniens, les Afro-Américains descendants d’esclaves et les Indiens d’Orient en font les frais encore aujourd’hui par les discriminations, et par la dureté des politiques migratoires.

Le gouvernement de Netanyahou notre passé. Mais c’est peut-être aussi notre avenir.

L’Allemagne n’échappe pas à ce revival. Ceux qui l’ont entendu ont pu être particulièrement choqués par le ton faussement détaché avec lequel le chancelier Olaf Scholz a affirmé, le 25 octobre, qu’« Israël est un État démocratique guidé par des principes très humanitaires et nous pouvons donc être certains que l’armée israélienne respectera les règles découlant du droit international dans tout ce qu’elle fait ». À l’heure où il prononçait ces mots, le bilan s’élevait déjà à plus de 5 000 morts à Gaza (10 000 aujourd’hui), et l’enclave était la proie d’une stratégie proprement génocidaire par les privations qui vouaient à une mort certaine des centaines d’enfants affamés, déshydratés, ou agonisant. En cohérence avec ce discours, l’Allemagne s’opposait, au sein de l’Union européenne et à l’ONU, à un cessez-le feu et militait pour la référence la plus restrictive possible à toute intervention humanitaire. Le pire, c’est que les commentateurs trouvaient ça parfaitement normal, en raison, disait-on, « du passé de l’Allemagne ».

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Comme si les Occidentaux n’en finissaient pas d’expier leurs crimes aux dépens d’un peuple palestinien qui n’en peut mais. Scholz soutient le massacre des Gazaouis et, finalement, la colonisation, au nom d’un repentir de crimes qu’il n’a pas commis, ni lui ni sa génération. Comme si, par un terrible rebond de l’histoire, la culpabilité ajoutait le crime au crime. En France, c’est le colonialisme des deux siècles précédents qui ressurgit. Le colon Ben-Gvir, ci-devant ministre de Netanyahou, dont la milice s’illustre par des ratonnades en Cisjordanie, brûle des maisons et tue des Palestiniens, est une parfaite réincarnation des colonisateurs d’Algérie, du Cameroun ou de Madagascar. Avant que les autochtones se révoltent et commettent à leur tour des crimes épouvantables que l’on nommera « terrorisme ».

L’extrême droite israélienne, telle qu’elle est au pouvoir, serait à peu près infréquentable en France. Que dirait Emmanuel Macron s’il voyait ressurgir un mouvement qui se réclamerait de l’OAS (notez que Ciotti n’en est pas loin) ? Mais lorsqu’il s’agit d’Israël, ces gens deviennent nos « amis », et ils sont des « démocrates » (« les seuls de la région », précise-t-on généralement). Face à ce parti pris occidentaliste, qui est beaucoup plus profond qu’une simple alliance politique, on repense à cette phrase terrible de Theodor Herzl, le père du sionisme : « C’est la volonté de Dieu que nous revenions sur la terre de nos pères, nous devrons ce faisant représenter la civilisation occidentale, et apporter l’hygiène, l’ordre et les coutumes pures de l’Occident dans ce bout d’Orient pestiféré et corrompu. » (1)

1

L’État des Juifs, 1896, réédité par La Découverte (1990).

Aujourd’hui, quand ils produisent du pétrole, les Arabes ne sont plus pestiférés. Les autres, de Gaza, d’Hebron ou d’Huwara, le sont toujours dans le regard de nos dirigeants. L’honneur de nos régions est sauvé par les représentants des institutions internationales. Le premier d’entre eux, et le plus courageux, est lesecrétaire général de l’ONU, António Guterres, qui a déclaré le 27 octobre : « Sans un changement fondamental, la population de Gaza risque une avalanche de souffrances humaines sans précédent. Chacun doit assumer ses responsabilités. Nous sommes à un moment de vérité. L’histoire nous jugera. » Il avait osé, quelques jours auparavant, affirmer que l’offensive du Hamas n’avait pas surgi sur « du vide », suscitant l’indignation du gouvernement israélien qui a immédiatement demandé sa destitution. Ce « plein » auquel Guterres faisait allusion, c’est évidemment le blocus qui dure depuis 2007 et que tout le monde a feint d’oublier. Et c’est la colonisation de Jérusalem et de la Cisjordanie.

Faire oublier la colonisation, en faire l’ordre normal des choses, est la grande prouesse d’Israël.

Mais toute allusion aux causes de l’attaque du 7 octobre est prohibée. Le terrorisme palestinien doit toujours être la cause première du conflit. Il ne peut avoir d’autres causes que la violence inscrite dans les gènes de ces peuples, et la haine des juifs. Faire oublier la colonisation, en faire l’ordre normal des choses, est la grande prouesse d’Israël. De cet oubli, les capitales occidentales sont complices. Mais c’est aussi un invariant du colonialisme qui ne fait jamais que suggérer que la domination d’un peuple par un autre relève de l’état de nature. On notera que Guterres, dont le comportement est très honorable dans ce dossier comme face au réchauffement climatique, est l’ancien Premier ministre d’un pays, le Portugal, qui a beaucoup colonisé. La fonction faisant le larron, il semble avoir transcendé son « passé portugais » qui n’a pas toujours été irréprochable.

C’est peu dire que, dans ce miroir, Emmanuel Macron n’offre pas le meilleur visage. Son voyage au Proche-Orient a été pathétique. Il a dit à chacun ce que chacun voulait entendre. Devant Netanyahou, il n’a pas été capable d’articuler la moindre demande humanitaire de « trêve » ou « pause ». Jusqu’à sa folle proposition de « coalition » à l’instar de ce qui s’est fait en Syrie contre Daech. Pour être inconséquente, cette suggestion n’est pas dépourvue de sens. Elle s’emboîte dans la propagande israélienne : le Hamas, c’est Daech. C’est le piège du concept de « terrorisme ». Quelle que soit l’horreur de l’attaque du 7 octobre, le Hamas n’est pas une organisation du jihad global. C’est un mouvement islamiste palestinien.

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C’est sans doute la volonté d’affirmer cette différence essentielle, ajoutée à une bonne dose de cynisme électoraliste, qui a conduit Mélenchon à refuser de prononcer le mot que tout le monde exigeait de lui. Il a eu grand tort car le Hamas est une organisation terroriste. Le dire n’empêchait pas de dire que le colonialisme israélien est la cause historique de ce conflit avec son cortège d’horreurs et de barbaries. Ceux qui ont refusé l’évidence sont aujourd’hui inaudibles. Les temps ne sont pas faciles pour qui veut être systématiquement anti-occidental. Le risque est de se retrouver une fois de plus du côté de Poutine, qui appelle Israël « à la retenue », lui qui bombarde férocement les civils ukrainiens, et n’est pas regardant sur l’antisémitisme.

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