Malgré la violence de la colonisation, les « travailleurs indochinois » ont longtemps représenté un modèle d’intégration en France. Une figure du « bon immigré » qui sert la construction d’un « problème » migratoire.

Longtemps, l’immigration asiatique a véhiculé l’image de la « bonne immigration ». La dernière campagne « laïcité » du ministère de l’Éducation nationale en est une parfaite illustration. Sur les huit affiches qui la composent, il est remarquable de constater qu’une seule jeune « issue de la diversité » porte un prénom français : il s’agit d’Axelle, qui est d’origine asiatique. Les critiques, nombreuses et justifiées, à l’égard de cette campagne n’en font pas mention.

Les débats publics se focalisent tellement sur l’immigration africaine qu’on oublie souvent l’existence d’une immigration asiatique. Parmi elle, les Vietnamiens se démarquent par une présence déjà ancienne, en raison du passé colonial qui a lié la péninsule indochinoise à la France pendant près d’un siècle. Leur nombre est estimé à 200 000. Ils sont venus en plusieurs étapes et vagues au rythme des deux guerres mondiales et des besoins en main-d’œuvre et tirailleurs, puis après la défaite de Diên Biên Phu, en 1954. Une débâcle suivie du rapatriement de quelque 35 000 Vietnamiens ayant servi la France. La quatrième vague, la plus récente, est celle des « boat people » qui arrivent après 1975, quand le pays tout entier passe sous régime communiste.

Depuis quarante ans, cette immigration se poursuit au ralenti : étudiants de familles aisées venus s’inscrire dans nos universités et, à l’autre extrémité du spectre social, paysans pauvres endettés, contraints au départ dans l’espoir de rembourser leur dette ou d’une vie meilleure. Ils font halte dans l’Hexagone et espèrent, comme d’autres migrants, rejoindre la Grande-Bretagne via Calais. En 2019, 39 d’entre eux ont péri asphyxiés dans un camion arrivé en Angleterre depuis la Belgique. Hoàng Van Tiêp, 18 ans, plongeur dans un restaurant en France, a été identifié parmi les victimes. Comme lui, la plupart étaient jeunes et majoritairement issus des provinces démunies du Vietnam.

Ce sont également ces régions pauvres qui ont fourni le plus d’hommes en 1939, ceux que l’État a qualifiés de « travailleurs indochinois ». La plupart étaient jeunes, fils de paysans sans terre. Il y a une dizaine d’années, la presse (y compris Politis) présenta comme un « scoop » l’histoire de ces immigrés. Elle semblait découvrir un sujet sur lequel, pourtant, des historiens s’étaient déjà penchés depuis belle lurette. Elle permit cependant de médiatiser l’expérience de la migration de ces Indochinois.

De nombreux témoignages ont été conservés, souvent rédigés par une élite intellectuelle, à l’instar des interprètes. Issus du système scolaire français, ils étaient plus d’un millier et ce sont eux qui sont majoritairement restés en France, concrétisant ainsi l’espoir de promotion sociale qui leur était interdit au sein de la colonie. Les récits qu’ils livrent montrent le souci de l’élite de veiller à la « bonne image » de la « communauté », qui passe particulièrement par l’adoption des manières bourgeoises (langage, habillement, posture) pour mieux revendiquer l’égalité des droits, tandis que les autorités, de la République au régime de Vichy, travaillaient à figer leurs « caractéristiques culturelles » afin de maintenir la distance consubstantielle à la domination coloniale.

Force est de constater que cette élite est sortie vainqueure de cette lutte, car c’est elle que la France a gardée sur son sol tandis qu’elle renvoyait dans la colonie la masse des 19 000 travailleurs pauvres. Jamais l’État n’a reconnu à ces derniers les dix ans passés à « servir la France », cependant qu’il s’est accommodé de la « bonne immigration » que constituent ceux qui sont restés. C’est que la « pensée d’État » a besoin du « bon immigré », forcément intégré, pour construire la figure du « mauvais immigré (1) ».

Poursuivre l’écriture de cette histoire est nécessaire, tout comme l’est son inclusion dans l’histoire de l’immigration coloniale et postcoloniale française, cantonnée à l’Afrique. Cette perspective nous aiderait à sortir du piège qui pose l’immigration comme un « problème », dès lors que la figure de l’exilé est réduite à l’immigrant d’Afrique, forcément musulman.

Par Liêm-Khê Luguern Historienne et enseignante, docteure en histoire.

(1) « Les stéréotypes de l’immigration asiatique », Liêm-Khê Luguern, dans Immigrants, Christophe Dabitch (dir.), Futuropolis/bd Boum, 2010.


Liêm-Khê Luguern

par Liêm-Khê Luguern

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.