Le thème de l’immigration sera au cœur de la campagne présidentielle. Un thème devenu obsessionnel pour les acteurs de la vie publique, en général, et pour les gouvernants, en particulier. Preuve que les référents et grilles de lecture de l’extrême-droite se sont imposés dans la bataille culturelle. Au-delà des jeux politiques et partisans, cette domination et influence idéologique affectent les sphères juridictionnelles et administratives, là où précisément se joue concrètement le respect de l’Etat de droit. Juriste spécialisé en droit des étrangers, Paul Chiron nous alerte sur l’affaissement des digues de protection des droits des migrants. Derrière cette figure déshumanisée, c’est la place des valeurs de l’humanisme au sein de notre société qui interroge.

 Le radeau de la Méduse (1818 – 1819), Géricault
  • Paul CHIRON, juriste spécialisé en droit des étrangers

Le 10 novembre 2021, la Cour de cassation a rendu un arrêt venant casser la condamnation pénale d’une personne étrangère pour obstruction à son éloignement.[1] Cette infraction, prévu par le code de l’entrée et du séjour et du droit d’asile, était caractérisée selon les juges de première instance et d’appel par le simple refus de se soumettre à un test PCR. Associations, médecins, universitaires et avocats ont dénoncé ces condamnations qui ont commencé à voir le jour en fin d’année 2020.[2] D’une part, car cela soulève de nombreuses questions éthiques remettant en cause le principe phare du consentement libre et éclairé à un acte médical. D’autre part car cela violait une garantie cardinale du droit pénal à savoir le principe de légalité des délits et des peines. « Nullum crimen, nulla poena sine lege », il ne saurait y avoir de crimes, de délits et de contraventions sans une définition préalable de ces infractions par un texte. Or, le CESEDA ne prévoyait en aucune manière l’incrimination d’un tel agissement. Ce vide juridique fut cependant vite rempli du fait d’un cavalier législatif inséré dans la loi du 5 août 2021 pourtant nommée « loi relative à la gestion de la crise sanitaire ». Cependant, jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi, le flou régnait et entre novembre 2020 et l’entrée en vigueur de la 5 août 2021, plusieurs centaines de personnes étrangères ont été condamnées en toute illégalité.

La Cour de cassation le rappelle bien dans sa décision : « le refus par un étranger de se soumettre à un test de dépistage de la Covid 19 nécessaire à l’exécution d’une mesure d’éloignement ne constituait pas une infraction à l’époque des faits. » Cette réponse était évidente ; juridiquement il ne pouvait en être autrement. alors pourquoi un tel acharnement ? Pourquoi, malgré les argumentaires, plaidoiries, tribunes, des professionnels du droit et des associations il y eu autant de condamnations que toutes et tous savaient illégales ? Il s’agit de la même réponse que de savoir pourquoi insérer ce cavalier législatif, pourquoi augmenter la durée de la rétention administrative, pourquoi harceler les personnes migrantes à Calais et ailleurs. Ce n’est pas une surprise, la vie politique se tourne à droite et même à l’extrême droite, aujourd’hui une sorte d’hystérie qui fait que nous parlons plus d’immigration que d’écologie ou de pouvoir d’achat[3], que chaque débat est tourné vers la question migratoire, souvent liée à la question sécuritaire par un habile tour de passe-passe totalement malhonnête. Cet acharnement se retrouve également dans l’instruction du ministère de la Justice qui incitait les procureurs à poursuivre les personnes étrangères pour ce délit de refus de test PCR.

Il n’est pas malheureusement pas surprenant que le ministère de l’intérieur s’obstine jusqu’à tomber dans une certaine perfidie à harceler des personnes étrangères au vu de sa volonté d’expulser plus et surtout de se montrer de plus en plus ferme. Cependant il est effrayant, comme le font remarquer l’Observatoire international des prisons et l’Observatoire de l’enfermement des étrangers[4], que des magistrats se soient laissés convaincre, non pas de la véracité des poursuites et du bien fondé de ces condamnations, mais de cette nécessité d’être un maillon de cette politique ferme, voire inhumaine, envers les personnes étrangères.

L’hystérie qui entoure la migration, et donc le droit des étrangers, débouche sur des drames. Malgré le fait que les poursuites pour avoir refusé un test PCR en vue de son expulsion soit dorénavant légal, cet acharnement détruit les hommes et les femmes qui subissent les peines de prison et de rétention qui s’enchaînent. Cette destruction engendrée par les actes de l’administration, soutenue par une partie de l’institution judiciaire, a trouvé son paroxysme le 15 décembre 2021 dans les geôles du tribunal de Bordeaux où une personne poursuivie pour le délit de soustraction à une mesure d’éloignement s’est donnée la mort en se pendant dans sa cellule.

[1] https://www.courdecassation.fr/decision/618b6ef5e256c86ccc1b5154

[2] L’alerte de médecins et d’universitaires : « Les tests Covid ne sont pas des outils de police administrative » https://www.lejdd.fr/Societe/lalerte-de-medecins-et-duniversitaires-les-tests-covid-ne-sont-pas-des-outils-de-police-administrative-4042159

[3] Avec comme paroxysme le débat entre les candidats à l’investiture pour le parti Les Républicains, https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20211201.OBS51658/41-du-temps-a-parler-immigration-et-securite-on-a-minute-les-4-debats-des-republicains.html

[4] Incarcération d’étrangers refusant de se soumettre à un test PCR : un scandale juridique et politique https://oip.org/communique/incarceration-detrangers-refusant-de-se-soumettre-a-un-test-pcr-un-scandale-juridique-et-politique/

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