Catherine MacGregor, Jean-Bernard Lévy, et Patrick Pouyanné, directrice et directeurs de Engie, EDF et TotalEnergies, ont appelé dans le JDD à la sobriété. En réponse, des professionnel·les et ingénieur·es travaillant dans l’énergie dénoncent l’hypocrisie d’un appel à l’effort par des groupes qui portent une responsabilité historique dans le réchauffement climatique. Un mea culpa eût été bienvenu, mais « difficile de demander pardon pour des erreurs dans lesquelles on continue de foncer tête baissée. »

Enfin ! Dimanche 26 juin, Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, et Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies appelaient dans le JDD à une sobriété d’urgence. Et pour cause, « les capacités de production électrique pilotable en Europe sont en tension à la suite de choix nationaux ou pour des programmes de maintenance. Les conditions climatiques et la sécheresse viennent amputer la production hydraulique ».

En clair : moins d’énergie disponible, des prix qui augmentent, la pénurie qui menace. Et la solution proposée : un « effort immédiat, collectif et massif » pour réduire la consommation globale d’énergie.

Du crédit pour les Amish

Ce texte a un goût de victoire. La victoire d’une bataille culturelle menée par les lanceur·euses d’alerte, volontiers parodié·es en Amish ou en « prophètes de malheur », qui expliquent depuis des années que l’énergie n’est pas infinie, que son approvisionnement est fragile, et qu’il faut urgemment adapter nos modes d’organisation, de production et de consommation à un monde où l’accès à l’énergie se complique logiquement.

Une victoire, oui, mais au goût amer : il aura fallu que le système énergétique subisse de fortes tensions pour que les principaux fournisseurs appellent publiquement à la sobriété. Surtout, les angles morts du texte le rendent inaudible et contre-productif.

Comment ne pas sentir pointer l’injustice et l’hypocrisie de ces propos ? Comment ne pas tiquer en voyant avancée la notion de cohésion sociale pour justifier une injonction non différenciée à la sobriété ? Comment accepter l’appel à l’effort immédiat par des groupes qui portent une responsabilité historique dans le réchauffement climatique ?

Chaque geste (ne) compte (pas autant)

Rappelons-le : tout le monde n’est pas également responsable de la surconsommation. Appeler indistinctement à une sobriété « immédiate » démontre une méconnaissance de la répartition des responsabilités en matière de consommation d’énergie. En France, une personne appartenant aux 10% les plus riches émet en moyenne 5 fois plus de gaz à effet de serre qu’une personne appartenant aux 50% les plus pauvres. Il serait donc utile que les signataires précisent que la « chasse au gaspillage nationale », appelée de leurs vœux, cible en priorité les principaux responsables.

Cette indifférenciation témoigne aussi d’une méconnaissance des conditions de vie d’une partie de la population, déjà sobre par défaut, et pour laquelle il serait plus exact de parler de privation que de sobriété. En France, 9,2 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, et le nombre de ménages subissant la précarité énergétique ne cesse d’augmenter : 12 millions de Français·es ont aujourd’hui des difficultés à satisfaire leurs besoins élémentaires par manque de ressources financières et/ou du fait de la vétusté de leur habitat. Ce manque de discernement est menaçant pour la cohésion sociale, le sentiment d’injustice en résultant pouvant attiser les tensions.

Balayer devant sa porte…

« Économiser l’énergie, c’est aussi réduire les émissions de gaz à effet de serre », s’autorisent les signataires pour appuyer leur propos. Un argument téméraire quand on connaît les projets climaticides portés par leurs groupes.

À l’heure où Engie mise sur un développement accru de gaz fossile pour compenser la baisse de sa production charbonnière, et où EDF porte une responsabilité dans le retard de développement des énergies renouvelables en France, on est en droit de s’interroger sur la légitimité de ces groupes à appeler des efforts.

Aujourd’hui encore et malgré les exhortations du GIEC et de l’Agence Internationale de l’Énergie à renoncer à tout nouveau projet fossile pour rester sous la barre des +1,5°C de réchauffement planétaire, TotalEnergies continue d’amorcer des bombes climatiques.

Les 400 puits de pétrole et le gigantesque oléoduc entre l’Ouganda et la Tanzanie qui composent le projet EACOP menacent d’émettre 34 millions de tonnes équivalent CO2 par an. Petit ordre de grandeur : la réduction d’émissions annuelle permise par une division par 2 de l’éclairage public extérieur en France ne représenterait que 0,5% de ce qu’émettra EACOP. Alors peut-être est-il temps de fermer le robinet des pipelines avant celui du lavabo quand on se brosse les dents ?

… et demander pardon

En plus de ses lourdes émissions directes et indirectes, la compagnie a joué un rôle déterminant depuis 50 ans dans la fabrique de l’ignorance sur le sujet climatique. Dès 1971, Total avait conscience de l’impact catastrophique de ses activités. Cette prise de conscience a soigneusement été suivie du déni, d’accusations publiques du consensus scientifique, et de diversions organisées pour retarder les régulations environnementales.

Pour « travailler ensemble au service de la cohésion sociale et de la transition durable de notre pays », un mea culpa eût été le bienvenu. Mais difficile de demander pardon pour des erreurs dans lesquelles on continue de foncer tête baissée.

Maxime Verdin, Victor Fighiera et Maud Picart (La Traverse)

 Signataires : 

  1. Camille Étienne, activiste pour la justice sociale et climatique, porte-parole (On est prêt)
  2. Lucie Pinson, fondatrice et directrice exécutive (Reclaim Finance)
  3. Cyrus Farhangi, consultant indépendant énergie climat
  4. Alexandre Florentin, élu au conseil municipal de Paris, directeur d’un centre de formation sur le climat
  5. Lorette Philippot, chargée de campagne finance et énergies fossiles (Amis de la Terre) 
  6. Grégory Derville, enseignant-chercheur et formateur (Université de Lille)
  7. Hervé Naillon, éco-designer
  8. William Bernaud, chercheur, formateur et consultant en redirection écologique et philosophie appliquée
  9. Vincent Edin, journaliste
  10. Rémi Rousselet, collaborateur de groupe politique (Ville de Rennes et Rennes Métropole)
  11. Tom Nico, ingénieur énergie-climat, chef de projet (I Care)
  12. Macha Bronner, économiste (Banque centrale européenne)
  13. Victor Caritte, ingénieur Stratégie énergétique (Tours Métropole Val de Loire)
  14. Stéphane Reeb, associé (Time for the Planet)
  15. Pierre-Henry Dodart, associé (Time for the Planet)
  16. Basile Fighiera, consultant-formateur Stratégie bas-carbone et sobriété numérique
  17. Florent Haffner, ingénieur recherche-action (Campus de la Transition)
  18. Loïc Marcé, chef de projet Développement international (La Fresque du Climat)
  19. Nicolas Ravat, responsable QHSE (EPUR Centre), associé et évaluateur (Time for the Planet)
  20. Laurent Fouillé, Sociologue Urbaniste indépendant
  21. Pierre-Jacob Rochette, associé (Time for the Planet)
  22. Alexia Beaujeux, cofondatrice et chargée de projets (La Traverse)
  23. Lucie de Closets, senior strategist (Publicis Montreal)
  24. Baptiste Denayer, cofondateur (Res Fabrica)
  25. Arnaud de Boisgrollier, directeur des services techniques mutualisés (Communauté de communes Beauce Val de Loire)
  26. Romain Peton, fondateur (TACTIC/14 septembre), Directeur du Master 1 “Développement durable et stratégie de communication responsable” (Sup de Pub)
  27. Solène Cordonnier, cofondatrice et chargée de projets (La Traverse)
  28. Simon Charles, project manager (Erytech Pharma)
  29. Alexis Gendard, Supplier quality manager (Erytech Pharma)
  30. Agnès Cibiel, directrice de projets (Eytech Pharma)
  31. Félix Vève, chargé de projets (La Traverse)
  32. Vincent Micollier, responsable (groupe SGDF Val de Saône)
  33. Pauline Gelin, cheffe de projet Immobilier culturel (Ville de Grenoble)
  34. Elodie Vautrin, consultante Digital et cofondatrice (On the Perma Road)
  35. Rémi Mustière, étudiant (Ecole de technologie supérieure)
  36. Gabriel Taquet, ingénieur maritime 
  37. Jean-Yves Pineau, directeur (association nationale Les Localos) 
  38. Angèle Chaumette, chargée des projets d’action culturelle, de collaboration territoriale et de la RSO (Les 4Ecluses)
  39. Laurent Cordonnier, économiste, Professeur à l’Université de Lille
  40. Laurent Aillet, président (Adrastia)
  41. Clémence Marque, vice-présidente (Adrastia)
  42. Pierre Eymery, secrétaire (Adrastia)
  43. Yvonne Boujut, trésorière (Adrastia)
  44. Somhack Limphakdy, administratrice (Adrastia)
  45. Pauline Dreux-Palassy, facilitatrice (Graines de résilience), co-animatrice (Adrastia Aquitaine)
  46. Thomas Chatelard, ancien vice-président (Adrastia)
  47. Oriane Augry, collaboratrice de groupe politique (Ville de Poitiers)
  48. Jérôme François, contrôleur de gestion | analyste des risques naturels systémiques
  49. Grégory Pitrel, chargé de projet en transition énergétique et écologique (Euraénergie)
  50. Julien Noyé, travailleur social
  51. Alexis Dumoulin, citoyen engagé
  52. Benoit Planchenault, consultant en transition écologique
  53. Bruno Chaplot, adjoint à l’environnement (Condat-sur-Vienne)
  54. Salomé Haas, citoyenne engagée
  55. Barbara Nicoloso, directrice (Virage Énergie), administratrice (Enercoop Hauts de France)

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