Le secrétaire général du Hezbollah libanais s’est exprimé pour la première fois, vendredi 3 novembre, sur le conflit qui oppose Israël au Hamas. Pour la chercheuse Aurélie Daher, son discours confirme que le mouvement allié de l’Iran n’entend pas y prendre part.

Zeina Kovacs

3 novembre 2023 à 21h51

AprèsAprès un mois de silence, Hassan Nasrallah a pris la parole vendredi 3 novembre à Beyrouth (Liban). C’est la première fois que le leader du Hezbollah s’exprime depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, alors que des combats ont lieu entre Tsahal et le mouvement chiite libanais depuis plusieurs semaines à la frontière israélo-libanaise.

Pendant près d’une heure trente d’un discours très attendu et applaudi par un public de fidèles aux quatre coins du Liban, le secrétaire général du « Parti de Dieu » a insisté sur le fait que « la décision et l’exécution » de l’attaque du Hamas étaient « 100 % palestiniennes », en écartant toute connaissance du projet par l’Iran. Il a ensuite qualifié Israël d’État « faible » et « fragile » et exhorté les Etats-Unis à imposer un cessez-le-feu. 

Après avoir comparé la situation actuelle avec la guerre de 2006, qui avait opposé le Hezbollah à Israël pendant un mois, il n’a pas écarté la possibilité d’une escalade régionale en martelant que « tous les scénarios sont envisageables » et en qualifiant les batailles à la frontière libanaise d’« insuffisantes ».

Pour Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à Paris-Dauphine et à Sciences Po Paris, autrice de l’ouvrage Le Hezbollah : mobilisation et pouvoir (2014, PUF), le discours d’Hassan Nasrallah indique la volonté du mouvement pro-iranien de ne pas s’impliquer massivement dans le conflit opposant Israël au Hamas, un scénario qui a toujours été « impossible », selon elle.

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Le discours de Hassan Nasrallah retransmis devant les habitants de la banlieue sud de Beyrouth, le 3 novembre 2023. © Photo Marwan Naamani / DPA / Abaca

Mediapart : Le discours d’Hassan Nasrallah est-il classique par rapport à ses interventions habituelles ? Apporte-t-il un élément nouveau dans le conflit ? 

Aurélie Daher : Ce discours suit la structure classique des discours qu’il a toujours prononcés. Il s’adresse d’abord aux civils, aux victimes et à leurs familles, en rendant hommage aux morts [57 combattants du Hamas sont morts depuis le 7 octobre, selon Nasrallah, ndrl]. Puis, il s’adresse aux gouvernements arabes régionaux et enfin à la communauté internationale, dont le désinterêt depuis plus de vingt ans pour l’ détresse de Gaza est selon lui en partie responsable de l’attaque du Hamas. 

La nouveauté aujourd’hui, c’est qu’il s’est adressé à ceux qu’il considère comme des « médias pro israéliens », les médias occidentaux, en leur demandant d’arrêter de vouloir impliquer l’Iran dans l’attaque du Hamas, avançant que les Palestiniens ont assez de raisons qui leurs sont propres de se rebeller contre l’occupation israélienne. 

À mon sens, l’escalade d’un conflit avec une implication massive du Hezbollah a toujours été impossible, et ce discours le prouve. Quand on a passé en revue tous les discours de Nasrallah depuis plus de vingt ans, on comprend que la réthorique autour de « tous les scénarios sont possibles » indique qu’une guerre régionale n’est pas au programme.

Quand on prévoit d’attaquer un adversaire à grande échelle, on ne le prévient pas, on ne commente pas en amont – on passe à l’action. J’en suis d’autant plus convaincue qu’il appelle à plusieurs reprises à un cessez-le-feu, et qu’à la fin du discours, il parle d’une « guerre d’usure », sous-entendu, une guerre de basse intensité, comme actuellement sur la frontière, en espérant qu’Israël pliera avec le temps. 

Mediapart : Pourquoi, selon vous, Nasrallah a-t-il attendu si longtemps pour s’exprimer, alors que depuis trois semaines des combats sont engagés sur la frontière israélienne ? 

Je pense que l’on peut mieux comprendre aujourd’hui la raison de son silence et la stratégie de communication qui le sous-tend. En restant dans l’ombre pendant un mois, il provoque tout d’abord questionnements et suspens. Il se prépare une audience élargie, et surtout plus attentive à son discours – notamment chez les Occidentaux. Il utilise cette attention pour ensuite, lors de sa prise de parole, pousser des éléments factuels quant à la réalité sur le terrain, éléments qui n’arrivent pas jusqu’aux médias occidentaux, jusqu’aux publics occidentaux. Il explique notamment l’état de détresse dans lequel se trouve l’armée israélienne actuellement à Gaza. C’est une stratégie militaire assez bien pensée.

Et il le fait au bout d’un mois, en parallèle avec le mois qu’avait duré la guerre de l’été 2006 entre le Liban et Israël, et à la fin duquel Israël n’avait remporté aucune victoire sur le terrain, comme aujourd’hui selon lui : pas d’affaiblissement du Hamas, pas de récupération des otages, malgré un mois de combats acharnés.

Mediapart : Dans son discours, le leader chiite fait de nombreux rappels de la guerre de 2006. En quoi le conflit actuel contre le Hamas peut-il être comparable au conflit de l’époque avec Hezbollah ?

Nasrallah a souligné que l’objectif d’Israël de vouloir “exterminer le Hamas” était impossible. C’est un des points qu’il indique comme commun à un objectif israélien de 2006, qui était alors de vouloir « exterminer le Hezbollah ». Cela n’avait pas fonctionné en 2006 ; aucun haut-cadre ou cadre intermédiaire ne manquait à l’appel à la fin du conflit, et la presse israélienne avait alors raillé son gouvernement en indiquant que la mort des « terroristes du Hezbollah » avait coûté au contribuable israélien entre 10 et 15 millions de dollars par combattant.

Autre point commun selon Nasrallah entre 2006 et 2023 : Israël réclamait déjà il y a 17 ans le retour de ses otages sans conditions et sans échange. Ca n’a pas fonctionné à l’époque, ça n’a pas fonctionné aujourd’hui. En cela, Nasrallah demande aux Israéliens de réfléchir aux leçons de 2006. 

Mediapart : Plusieurs sondages réalisés au Liban montrent que l’écrasante majorité des Libanais sont contre une nouvelle guerre. Quelle est la légitimité du Hezbollah aujourd’hui ? 

La moitié de la population libanaise est chiite, je dirais que 90 % d’entre eux soutiennent actuellement le Hezbollah. Du point de vue chrétien, la majorité de ce qu’on appelle les “aounistes” (partisans de Michel Aoun, ancien Président libanais) le soutiennent aussi.

Restent les Sunnites : malgré des désaccords sur des dossiers de politique interne, la position de la communauté est en faveur des Palestiniens. Certes, les trois quarts des Libanais ne veulent pas la guerre. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’ils ne veulent pas d’un scénario à la façon de 2006. Compte tenu de la crise socioéconomique dans laquelle se trouve le pays, ce serait une catastrophe.

Par ailleurs, autant les Libanais sont prêts à payer un prix élevé quand Israël frappe massivement le Liban, autant ils ne sont pas prêts à mourir pour les Palestiniens, même s’ils les soutiennent en principe. En tout état de cause, Nasrallah lui-même ne veut manifestement pas la guerre, et a insisté à plusieurs reprises sur le besoin d’un cessez-le-feu. 

Mediapart : Qu’en est-il des liens du Hezbollah avec le régime de Téhéran ? 

Les liens entre le Hezbollah et l’Iran sont complexes, multi-dimensionnels et ont évolué au cours du temps. Ils ne sont aujourd’hui plus les mêmes que dans les années 1980. Le Hezbollah n’est pas une organisation-pantin aux mains du régime iranien.

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Depuis la guerre en Syrie, le rapport entre le Hezbollah et certains pôles du pouvoir du régime iranien se rapproche essentiellement du partenariat. L’intervention du Guide de la Révolution dans les processus de prise de décision du Hezbollah se manifeste dans deux types de situation. Le premier,consiste à arbitrer des votes au sein de l’équipe de direction du Hezbollah, dont le résultat serait à 50%-50%. Le second est un « bon pour accord » que la direction du parti doit réclamer au Guide lorsque ses projets, notamment militaires, pourraient potentiellement mettre en péril les intérêts iraniens. Pour le reste, le Hezbollah est une organisation qui prend elle-même ses décisions.

Sur le plan financier, le Hezbollah, de la même manière, ne dépend pas directement de l’Iran. La majorité de ses financements proviennent d’un système complexe de mécanismes de levée de fonds, et la société libanaise reste son principal soutien. L’organisation, notamment pour sa partie militaire, bénéficie en partie d’une redirection des impôts religieux chiites vers ses caisses. Sur le plan militaire enfin, la coopération entre les officiers du Hezbollah et les Pasdaran est un fait. Si les hommes du Hezbollah sont ceux qui se battent en Syrie sur le terrain alors que les Pasdaran agissent davantage comme consultants ou stratèges, le Hezbollah en retour profite des technologies militaires iraniennes.

Zeina Kovacs

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