par Marina Da Silva  L’insurrection inoubliable↑

Au lendemain de la guerre franco-prussienne et de la chute de l’Empire, entre le 18 mars et le 28 mai 1871, soit durant soixante-douze jours, la Commune de Paris s’opposa à une Assemblée nationale à majorité monarchiste et incarna la lutte pour un autre monde. Un espoir écrasé par le gouvernement d’Adolphe Thiers lors de la «semaine sanglante» — entre le 21 et le 28 mai —, mais qui allait s’inscrire durablement dans l’histoire, continuant d’inspirer les utopies contemporaines. La célébration de son cent cinquantième anniversaire — esquivée par le président Emmanuel Macron, qui préféra se reconnaître dans le bicentenaire de Napoléon Bonaparte (1769-1821) — s’est déroulée toute l’année sous des formes plurielles : manifestations, événements, spectacles, chansons et nombre de livres.

Jean-Baptiste Thomas, dans Découvrir la Commune de Paris (1), souligne la «créativité populaire» et l’«action collective» du soulèvement né à Montmartre, qu’il analyse dans une douzaine de chapitres. Si les extraits de textes cités et commentés proviennent essentiellement de celles et ceux qui ont pris part à l’insurrection qui allait terroriser la bourgeoisie, la plume est aussi laissée à leurs détracteurs : Émile Zola, Gustave Flaubert… et autres gens de lettres. L’auteur s’intéresse particulièrement au processus de politisation et d’auto-organisation qui a conduit à des mesures émancipatrices (comme l’annulation des loyers ou les réformes du travail), mais aussi au rôle des artistes, à celui des femmes, très impliquées dans la défense de Paris et qui ne manqueront pas d’être condamnées pour avoir transgressé les codes sociaux. Il interroge également l’héritage socialiste et communiste de ceux qui « sont montés à l’assaut du ciel». Et veut tirer de l’expérience communarde des enseignements pour aujourd’hui.

Dans la nouvelle édition de son Dictionnaire de la Commune — paru d’abord en 1971 pour le centenaire, puis réédité en 1978, 2001 et 2021 —, Bernard Noël (2), disparu récemment, laisse le lecteur libre d’en construire l’histoire avec près de neuf cents entrées à sa disposition. On peut les lire comme on l’entend, selon sa curiosité et ses propres échafaudages, matériaux offerts sans hiérarchie insidieuse et saisis dans les hasards de l’ordre alphabétique. De la première entrée Aab (Pierre Eugène) — briquetier condamné à la déportation — à Zones — celles d’ombres et de sang qui hantent la période —, chacun se bâtit son savoir au fil de ses bifurcations. Noël, grand écrivain politique au sens le plus riche du terme, avait lui-même été traversé par les bouleversements de Mai 68 et entrepris ses recherches sur la Commune comme pour prendre la mesure de ses échos toujours à l’œuvre. Il s’est consacré à la lecture des 141 journaux de mars, avril et mai 1871 archivés à la Bibliothèque nationale, mentionnant et redonnant des noms à des communards anonymes, et nombre de ses articles sont constitués de citations. Ils s’enchevêtrent avec l’écriture et la pensée du poète pour bâtir une œuvre qui va bien au-delà d’un simple dictionnaire et qui rappelle, comme il le soulignait dans un entretien sur France Culture, que, «comme l’amour, la révolution est ce qui fait tomber le ghetto qui existe entre les êtres».

Marina Da Silva Journaliste.

(1) Jean-Baptiste Thomas, Découvrir la Commune de Paris, Les Éditions sociales, Paris, 2021, 194 pages, 10 euros.

(2) Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, L’Amourier, Coaraze, 2021, 800 pages, 33 euros.

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.