Des ONG ont lancé un appel à suspendre les transferts d’armes à l’État hébreu et aux groupes armés palestiniens, mercredi 24 janvier. Le ministère des armées assume d’exporter des équipements militaires à Israël « afin de lui permettre d’assurer sa défense ».

Justine Brabant

24 janvier 2024 à 19h50

Plus de trois mois après le début de l’opération militaire israélienne « Épées de fer », qui aurait fait plus de 25 000 morts dans la bande de Gaza (selon le ministère de la santé local), la mobilisation internationale pour stopper les ventes d’armes à l’État israélien s’amplifie.

Jusqu’alors limitées à des débats (parfois vifs, comme aux États-Unis) dans les pays alliés d’Israël, les voix critiques semblent commencer à s’organiser en mouvement plus structuré, avec la publication ce 24 janvier d’un appel conjoint de seize importantes ONG à « cesser immédiatement les transferts d’armes, de pièces détachées et de munitions à Israël » – ainsi « qu’aux groupes armés palestiniens ».

Il est signé de deux grandes organisations de défense des droits humains (Amnesty International et Human Rights Watch) – qui s’étaient déjà exprimées chacune de leur côté pour condamner ces ventes d’armes – mais également d’organisations humanitaires d’urgence (Médecins du monde), d’ONG spécialisées dans la protection de l’enfance (Save the Children, War Child Alliance), dans la protection des réfugiés (Danish Refugee Council, Norwegian Refugee Council) ou dans le développement (Oxfam). La liste des signataires inclut également plusieurs organisations caritatives religieuses : Christian Aid, Diakonia, American Friends Service Committee ou le Mennonite Central Committee. Ces organisations pourraient être rejointes par de nouveaux signataires dans les jours qui viennent.

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Des soldats israéliens nettoient leurs armes à feu près d’obus et de chars de combat le long de la frontière avec la bande de Gaza, le 31 décembre 2023. © Photo Menahem Kahana / AFP

Cet embargo sur les ventes d’armes doit s’appliquer « tant qu’il existe un risque qu’elles soient utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international humanitaire ou des droits humains ». Cela est manifestement le cas en ce moment dans la bande de Gaza.

À la suite des attaques menées par le Hamas le 7 octobre 2023, lors desquelles 1 200 personnes ont été tuées, l’armée israélienne a lancé l’opération militaire « Épées de fer », qui semble surtout consister en des représailles indiscriminées de grande ampleur contre les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza.

La rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, dénonce un « nettoyage ethnique » de la part d’Israël et estime qu’il existe un « risque de génocide » des Palestiniens dans l’enclave.

L’appel des seize ONG revient longuement sur la situation sur place, en particulier sur les « bombardements sans distinction » opérés par l’armée israélienne, qualifiés d’« inacceptables » et ayant pour conséquences, entre autres (en plus des morts et des plus de 60 000 blessé·es), « plus de 1 000 » enfants palestiniens « contraints d’être amputés », plus d’un demi-million de Palestinien·nes « confronté·es à la famine », « plus de 70 % des maisons » de Gaza détruites ou endommagées et « plus de 300 employés médicaux » tués.

Des appels au cessez-le-feu vains

Quant aux tentatives pour envoyer de l’aide humanitaire sur place, elles sont de fait empêchées par « l’intensité des hostilités », « y compris des tirs sur des convois humanitaires, des interruptions récurrentes des services de communication, des routes endommagées, des restrictions sur les aides essentielles, une interdiction quasi totale des biens commerciaux, et un processus bureaucratique lourd pour envoyer de l’aide à Gaza ».

L’appel à un embargo sur les transferts d’armes vers Israël et Gaza est né de l’échec des appels internationaux à un cessez-le-feu immédiat. « Nous avons, avec d’autres organisations, tenu des conférences de presse en novembre et décembre pour demander un cessez-le-feu humanitaire », rappelle Federico Dessi, directeur régional Moyen-Orient de Handicap International.

Cette mobilisation a trouvé un écho dans la société civile, avec la campagne Ceasefire Now, rejointe par des centaines d’organisations syndicales, confessionnelles, d’universités ou d’associations professionnelles. Mais ces appels à un cessez-le-feu n’ont pas pu se transformer en résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, en raison des vetos américains sur le sujet.

Puisque ces appels à un cessez-le-feu « ne sont pour le moment pas entendus », ces ONG ont « décidé qu’il fallait aller au-delà, avec un appel à suspendre les transferts d’armes à Israël et aux groupes armés palestiniens », détaille encore Federico Dessi à Mediapart. « Car par ces transferts d’armes, certains États, dont des États occidentaux, contribuent à la prolongation du conflit. »

« Ce qui se passe en ce moment est un massacre, une catastrophe, et il faut arrêter les combats au plus vite », insiste encore l’humanitaire. Handicap International compte actuellement 90 employé·es à Gaza. Ils ne peuvent travailler que dans le gouvernorat de Rafah, après avoir « progressivement perdu l’accès » au nord, au centre puis à la région de Khan Younès ces derniers jours à cause de l’offensive terrestre israélienne.

Une politique de vente d’armes floue

Les principaux pays exportateurs d’armes vers Israël sont les États-Unis (notamment des véhicules blindés de transport de troupes, des avions de combat et des bombes), mais également l’Allemagne, l’Italie, le Canada ou la France. Cette dernière a vendu 15,3 millions d’euros d’armement à Israël en 2022, selon les derniers chiffres officiels disponibles.

Or si la France est claire sur sa demande d’un « cessez-le-feu » à Gaza, elle l’est moins en ce qui concerne sa politique de ventes d’armes à l’État hébreu.

Ses engagements internationaux lui interdisent en théorie de poursuivre ses exportations. La France est en effet signataire du traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013, qui interdit à un État de vendre des armes s’il a « connaissance […] que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre ».

La France a-t-elle malgré tout livré ou vendu des armes à Israël depuis le 7 octobre, et lesquelles ? Continuera-t-elle d’en livrer ou d’en vendre à l’avenir, malgré les risques de se rendre complice de crimes de guerre à Gaza ?

La question a été posée par le député LFI Aurélien Saintoul au ministère français des armées dès le 7 novembre 2023. Elle est pour le moment restée sans réponse.

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De nouveau interrogé par Mediapart le 24 janvier, le ministère a enfin consenti à un début de réponse : « La France respecte strictement ses engagements internationaux dans ses exportations d’armes vers Israël […]. À ce titre, elle n’exporte pas et n’exportait pas avant les événements dramatiques du 7 octobre de matériels létaux susceptibles d’être employés contre des populations civiles dans la bande de Gaza », assure le ministère des armées.

Mais le même ministère assure également que la France « exporte des équipements militaires à Israël afin de lui permettre d’assurer sa défense, comme l’article 51 de la Charte des Nations unies lui en donne le droit ».

Quels sont précisément ces équipements qui permettent « d’assurer sa défense » sans pour autant être létaux ? Et si la France n’exportait pas avant le 7 octobre de matériels létaux, comment expliquer que, selon les dernières données publiques disponibles, la France a délivré en 2022 9 millions d’euros d’autorisations d’export pour des armes de la catégorie militaire ML4, soit des « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosives et matériel et accessoires connexes » ?

À l’heure où nous rédigions ces lignes, les services de Sébastien Lecornu n’avaient pas encore pu nous fournir ces précisions. Également interrogé le 24 janvier au matin, le ministère des affaires étrangères a indiqué qu’il lui faudrait plusieurs jours avant de pouvoir nous répondre.

Justine Brabant

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