Mémoire de l’esclavage : comment Bordeaux s’inspire de Nantes, la « locomotive mémorielle »
Karfa Diallo et Octave Cestor, samedi 4 février, devant la mairie de Bègles, pour le 229e anniversaire de la première abolition de l’esclavage. © Crédit photo : Denis Lherm

Par Denis Lherm – d.lherm@sudouest.fr
Publié le 05/02/2023 à 19h55
Mis à jour le 06/02/2023 à 9h22

S’abonner Acteur historique de la reconnaissance du passé négrier de Nantes, Octave Cestor a raconté ses décennies de combat samedi à Bègles, pour le 229e anniversaire de la première abolition de l’esclavage

Une figure du mouvement mémoriel sur la traite négrière a été reçue samedi 4 février à la mairie de Bègles, pour la commémoration du 229e anniversaire de la première abolition de l’esclavage (1). Invité par l’association Mémoire & Partages, Octave Cestor est venu parler de Nantes « locomotive mémorielle sur la mémoire de l’esclavage en France ». Ce droit de l’hommiste a consacré sa vie à cette cause. Premier port négrier français avec 52 % des expéditions de commerce triangulaire, devant La Rochelle, Le Havre-Honfleur et Bordeaux (11 % des expéditions), Nantes est considéré comme le berceau international de ce travail de mémoire, pour « regarder en face cette partie de l’histoire, qui est l’histoire de l’humanité », selon Octave Cestor. Depuis 2012, le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, le premier au monde et le plus grand d’Europe, marque cette reconnaissance dans l’espace public, sur les quais de la Loire.

« Bordeaux n’a encore rien fait »

À Bordeaux, Mémoires & Partages et sa figure de proue Karfa Diallo sont engagés, avec la mairie, dans le projet de Maison contre les esclavages. Il doit compléter un chemin commencé sous Juppé, avec les salles « Bordeaux au XVIIIe siècle, le commerce atlantique et l’esclavage », ouvertes en 2009 au musée d’Aquitaine, la pose de plaques de rue pédagogiques, ou l’installation de statues (Toussaint Louverture à La Bastide, Modeste Testas/Al Pouessi quai des Chartrons). Pour Octave Cestor, « Bordeaux n’a encore rien fait par rapport à ce qu’il faut faire. La municipalité doit s’engager complètement comme Nantes l’a fait. » Même s’il porte son projet depuis 1998, Karfa Diallo sait que « le chemin est encore long ».

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« Soulevé une montagne »

Né au Morne-Vert, en Martinique, Cestor bat le pavé de Nantes depuis 1983. « En 1985, une association voulait célébrer le tricentenaire du Code noir, la mairie était associée. Quand la presse a commencé à en parler, les héritiers des familles négrières ont fait pression, la mairie s’est retirée pour faire capoter le projet. Je me suis dit « c’est une guerre, je relève le défi » », raconte-t-il. Il va ramer à contre-courant pendant trois décennies. « À Nantes, cela a été très difficile, le sujet était complètement occulté, nous avons soulevé une montagne ! » En 1989, l’exposition Les anneaux de la mémoire, plus de 400 000 visiteurs en dix-huit mois, est un point de bascule. Mais il faudra encore vingt-trois ans pour voir apparaître le Mémorial de l’abolition de l’esclavage.

Un passé admis

« Aujourd’hui, ce passé est admis à Nantes. Nous avons démontré qu’on est capable d’étudier cette question difficile de manière paisible et collectivement. Ce n’est pas l’Afrique ou les Antillais contre la ville de Nantes, c’est l’histoire de l’humanité. Au-delà de la mémoire, il y a la question identitaire. Je suis né aux Antilles, où l’on m’a appris que mes ancêtres étaient gaulois. C’est en arrivant à Nantes qu’on m’a fait comprendre que j’étais un négro. Aujourd’hui, Jean-Marc Ayrault est président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, il fallait une voix nationale autorisée pour faire avancer cette question. Maintenant, l’Éducation nationale n’est pas au niveau, elle doit plus ouvrir ses livres à ces questions pour apaiser les cours d’écoles, pour le vivre ensemble », ajoute Octave Cestor.

Comme Diallo, élu au Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Cestor est passé par la politique (conseiller municipal à Saint-Herblain et Nantes pendant vingt-six ans) pour faire avancer sa cause. Mais le poids de la mobilisation citoyenne et le rapport de force sont selon lui supérieurs au pouvoir des élus. « Il faut embarquer tout le monde, les citoyens, les associations, la Licra, la Ligue des droits de l’homme… Si tu joues tout seul à Bordeaux, ça ne marchera pas », lance-t-il à Diallo.

(1) La Convention nationale a prononcé l’abolition de l’esclavage le 4 février 1794, avant que celle-ci ne soit révoquée en 1802. L’abolition définitive a été adoptée le 27 avril 1848.

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