Réduire de moitié les émissions d’ici 2030 est possible, soulignent les scientifiques. Mais cela suppose une action immédiate et profonde, combinant déploiement de technologies bas-carbone et baisse de la demande en énergie.

Par Sébastien Billard ·

C’est une publication qui marque la fin d’une trilogie précieuse, qui détaille l’état de nos connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique. Après d’intenses négociations, le Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Giec) a rendu public ce lundi 4 avril, avec plusieurs heures de retard, le troisième et tout dernier volet de son 6e rapport d’évaluation.

Fin février, le Giec avait mis en lumière l’étendue des impacts, souvent irréversibles, du réchauffement climatique sur les populations et les écosystèmes. Un mois après, l’instance onusienne s’est cette fois-ci focalisée sur l’éventail des politiques pouvant nous permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre.La suite après la publicité

« Nous sommes à la croisée des chemins. Nos décisions peuvent assurer un avenir vivable », a averti le président du Giec, Hoesung Lee. Bonne nouvelle : des solutions existent bel et bien. « Nous disposons des outils et du savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement », a martelé le dirigeant. Alors que nos chances de limiter la hausse des températures sous les 1,5 – et même 2 degrés – s’amenuisent chaque jour un peu davantage, il ne manque, en somme, que la volonté politique… « C’est maintenant ou jamais », a mis en garde de son côté l’un des coprésidents du groupe 3 du Giec, Jim Skea, appelant à des transformations systémiques :« Sans des réductions immédiates et profondes des émissions dans tous les secteurs, ce sera impossible. »

L’Obs détaille les points clés de ce rapport :« Le monde est sous-préparé » au changement climatique : ce qu’il faut retenir du nouveau rapport du Giec

  • Des émissions de CO2 toujours en hausse

Ce nouveau volet du rapport d’évaluation du Giec commence par un rappel, pas vraiment rassurant. En dépit des avertissements lancés depuis des décennies par les scientifiques, nous ne sommes toujours pas sur la bonne trajectoire.

Certes, au cours de la décennie qui vient de s’écouler (2010-2019), le taux de croissance des émissions mondiales de CO2 a faibli par rapport à la décennie précédente, passant de + 2,3% à + 1,3% par an. Mais les émissions de gaz à effet de serre ont néanmoins continué à augmenter. Ainsi, nous n’avons jamais autant émis de CO2 qu’aujourd’hui ! En 2019, les émissions étaient 12 % plus élevées qu’en 2010, et 54 % plus élevées qu’en 1990. Toujours selon les données mentionnées par les scientifiques du Giec, 17 % du CO2 qui s’est accumulé dans l’atmosphère depuis 1850 a été émis rien qu’entre 2010 et 2019.La suite après la publicité

Seul (petit) signal positif : on apprend à la lecture de ce rapport qu’au moins 18 pays ont réussi pendant plus de 10 ans à réduire leurs émissions liées à la production et à la consommation.

  • La responsabilité historique des pays riches

Parler d’émissions mondiales de CO2 présente des limites. Car les scientifiques du Giec le rappellent : tous les pays du monde ne contribuent pas pareillement au réchauffement climatique (voir ci-dessous). L’Amérique du Nord, l’Europe, l’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande comptaient seulement 22% de la population mondiale en 2019, mais ils ont contribué à 43% des émissions de carbone historiques cumulées entre 1850-2019. A l’inverse, l’Afrique et l’Asie du Sud comptaient 61% de la population mondiale en 2019, mais n’ont contribué qu’à hauteur de 11 % aux émissions historiques.Emissions anthropiques nettes cumulées historiques de CO2 par région. (IPCC)Emissions anthropiques nettes cumulées historiques de CO2 par région. (IPCC)Comment le réchauffement climatique change déjà la France

  • Réduire de moitié les émissions d’ici 2030

Pour limiter le réchauffement à + 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle – l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris – la fenêtre de tir est en train de se réduire dangereusement, nous dit le Giec. Pour y parvenir, le pic des émissions doit en effet être atteint au plus tard dans trois ans, en 2025. Or un tel objectif est « hors de portée » avec les engagements internationaux actuels.

Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, le monde doit réduire les émissions annuelles de CO2 de 48 % d’ici à 2030 et atteindre un niveau net nul d’ici à 2050, tout en réduisant les émissions de méthane d’un tiers d’ici à 2030 et en les divisant presque par deux d’ici à 2050. La tâche est titanesque, mais néanmoins possible, indiquent les scientifiques. Cela implique, en premier lieu, de réduire « substantiellement » l’utilisation des combustibles fossiles. L’usage du charbon doit être totalement stoppé et ceux du pétrole et du gaz réduits de 60% et 70% d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 2019.La suite après la publicité

Les infrastructures actuelles d’énergies fossiles, précise le Giec, pourraient à elles seules épuiser notre budget carbone restant, en émettant 660 gigatonnes de CO2 – contre un budget carbone estimé à 510 Gt CO2 pour limiter le réchauffement à 1,5°C sans dépassement ou avec un dépassement limité.« La centrale tourne plein pot » : à Saint-Avold et Cordemais, le difficile adieu au charbon

  • L’essor précieux des énergies renouvelables

Si nous ne sommes toujours pas sur la bonne trajectoire, nous disposons de plusieurs options techniques pour rectifier le tir, note le Giec, qui évoque en particulier les précieux services rendus par les énergies renouvelables pour réduire les émissions de CO2.

Alors que lutter contre le changement climatique nécessite une transformation durable de l’ensemble du système énergétique, la décennie 2010-2019 a été marquée par des signaux encourageants. Parmi eux, les baisses soutenues des coûts de plusieurs technologies bas-carbone commel’énergie solaire (− 85 %), l’énergie éolienne (− 55 %) et les batteries lithium-ion (85 %), ce qui les rend plus compétitives et s’est traduit par une forte augmentation de leur déploiement. Les systèmes électriques alimentés principalement par des énergies renouvelables deviennent « de plus en plus viables », se réjouissent les scientifiques.« Bien que des défis opérationnels, technologiques, économiques, réglementaires et sociaux subsistent, des solutions pour intégrer une part importante des énergies renouvelables dans le système énergétique ont émergé. »Energie : l’autre guerre pour l’Europe

  • Le « grand potentiel » des voitures électriques

Les scientifiques louent également le « grand potentiel » des véhicules électriques pour diminuer les émissions de CO2. Parmi les bonnes nouvelles, le Giec évoque, là encore, la diminution des coûts des véhicules électrifiés. Résultat, leur adoption s’accélère. Mais l’électrification progresse, celle-ci nécessite des investissements continus pour qu’un réel changement d’échelle dans le déploiement de ce type de véhicules s’opère, rappellent les experts. Le Giec souligne néanmoins que les minéraux nécessaires à la fabrication des batteries représentent un point de préoccupation.La suite après la publicité

  • L’impact ambivalent du numérique

Les technologies numériques, nous dit le Giec, peuvent aussi contribuer à l’atténuation du changement climatique, en améliorant par exemple la gestion de l’énergie dans tous les secteurs, ou en accroissant l’efficacité énergétique. Cependant, certains de ces gains peuvent être réduits ou contrebalancés par la croissance de la demande de biens et de services due à l’utilisation du numérique, nuancent les chercheurs. « La technologie numérique ne soutient la décarbonation que si elle est correctement gérée. »Comment nos mails, nos like et nos comptes Tinder saccagent la planète

  • Des investissements insuffisants

C’est un autre petit motif d’espoir souligné par le Giec : des politiques climatiques sont maintenant en vigueur dans de multiples nations du monde. En 2020, il existait des lois climatiques axées principalement sur les réductions des émissions de CO2 dans 56 pays couvrant 53 % des émissions mondiales. Dans de nombreux Etats, « ces politiques ont amélioré l’efficacité énergétique et réduit les taux de déforestation ».

Le Giec déplore néanmoins de trop faibles avancées sur le terrain, pourtant crucial, de la finance et des investissements. « Les flux de financement publics et privés en faveur des énergies fossiles sont toujours supérieurs à ceux pour le climat », déplorent les scientifiques. Le rapport démontre que les flux financiers actuels sont de l’ordre de trois à six fois inférieurs aux niveaux nécessaires d’ici 2030 pour limiter le réchauffement en dessous de +2 °C.Lucie Pinson, la « carbone killeuse »

Le Giec souligne en particulier l’importance d’accorder un soutien financier bien plus massif aux pays en développement pour renforcer les mesures d’atténuation mais aussi remédier aux inégalités de vulnérabilité au changement climatique.La suite après la publicité

  • Des conséquences économiques positives ?

Quel serait l’impact économique d’une politique ambitieuse de décarbonation ? Si nous prenons les mesures nécessaires pour limiter le réchauffement à +2 °C ou moins, le PIB ne serait inférieur que de quelques points de pourcentage en 2050, par rapport au maintien des politiques actuelles, assurent les experts de l’ONU. L’objectif de +2°C entraînerait une baisse de 1,3% à 2,7% du PIB mondial par rapport à la trajectoire actuelle, et une baisse de 2,6% à 4,2% pour tenir +1,5°C.

Mais les scientifiques précisent que ces calculs ne tiennent pas compte des avantages économiques de la réduction des coûts d’adaptation (évitement de catastrophes climatiques, de crises alimentaires ou de l’effondrement des écosystèmes). « Les avantages des scénarios permettant de limiter le réchauffement à 2°C dépassent les coûts des mesures d’atténuation (des émissions) sur la totalité du XXIe siècle, » souligne ainsi le rapport.

  • La capture du carbone ? Oui, mais…

Le Giec s’exprime sur un sujet épineux : le captage et le stockage géologique de CO2 (CCS), vanté par ses promoteurs comme un moyen de réduire les émissions d’une source fortement émettrice de CO2 sans en changer fondamentalement le moyen de production. Les techniques de CCS ont un avantage économique : en permettant aux combustibles fossiles d’être utilisés plus longtemps, elles peuvent réduire la quantité d’actifs « échoués », souligne le Giec, qui rappelle que la valeur de ces actifs pourraient se chiffrer en milliers de milliards de dollars. Si le monde limite le réchauffement à 2°C, cela implique en effet de renoncer à consommer une part substantielle des réserves d’énergies fossiles, ce qui rendrait obsolète une grande partie des infrastructures qui y sont liées. Soit, selon l’estimation du Giec, entre 1 000 et 4 000 milliards de dollars de perte.

Le Giec livre une analyse ambivalente de ces techniques et des méthodes d’élimination du dioxyde de carbone (Carbon Dioxyde Removal, CDR). Même dans les meilleurs scénarios, la baisse des émissions devra certes s’accompagner par la mise en oeuvre de techniques d’élimination du dioxyde de carbone, ou « émissions négatives », pour atteindre la neutralité carbone. En somme, elles sont indispensables. Ces outils doivent en particuluer permettre de compenser les émissions de secteurs qui ne pourront pas suffisamment réduire leurs émissions d’ici à 2050 – aviation, transport maritime ou cimenteries – et seront également nécessaires pour espérer rétablir la situation en cas de dépassement des objectifs de l’Accord de Paris.La suite après la publicité

Mais la mise en œuvre du captage de carbone fait actuellement face à « des défis technologiques, économiques, institutionnels et écologiques », tempère néanmoins le Giec. Toutes ces techniques ne sont en effet pas bénéfiques pour l’environnement, et surtout toutes ne sont pas encore au point. « Actuellement, les taux mondiaux de déploiement du CCS sont bien inférieurs à ceux des trajectoires modélisées pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C ou +2 °C », note par ailleurs le Giec.Climat : ceux qui veulent nous sauver en agissant sur la stratosphère sont-ils des fous ?

  • Baisse de la demande en énergie

Si nous aurons besoin d’outils technologiques pour lutter contre le réchauffement climatique, il importe de les combiner avec des politiques qui agissent sur la demande en énergie et la consommation de biens et services. Ce levier, estime le Giec, peut permettre de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 70% d’ici à 2050. « Disposer des politiques publiques, des infrastructures et de la technologie pour rendre possibles les changements dans nos modes de vie et nos comportements (…) offre un important potentiel (de réduction) inexploité », a souligné Priyadarshi Shukla, un des coprésidents du groupe de travail du Giec sur les solutions pour réduire les causes du changement climatique.Qui sont les vrais responsables de la crise écologique et du chaos climatique ?

Des efforts particuliers doivent par ailleurs être demandés aux individus les plus privilégiés. Les ménages avec les 10% des plus hauts revenus dans le monde représentent à eux seuls entre 36% et 45% des émissions totales de gaz à effet de serre responsables du changement climatique, soulignent les experts climat de l’ONU. Parmi ces 10% de plus aisés, les deux tiers vivent dans les pays développés. Les émissions liées au mode de vie des classes moyennes et défavorisées des pays développés sont quant à elles de 5 à 50 fois plus élevées que celles de leurs homologues dans les pays en développement.

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Le Giec précise que les personnes à haut niveau socio-économique contribuent non seulement de manière disproportionnée aux émissions de CO2 mais qu’ils ont aussi un potentiel le plus élevé pour les réduire.

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