Le troisième référendum d’autodétermination a vu le « non » l’emporter avec 96,49 % des suffrages exprimés et une abstention record. L’entêtement du président de la République à conclure le processus de décolonisation, en l’absence du peuple colonisé, rend politiquement caducs les résultats du scrutin.

Ellen Salvi

12 décembre 2021 à 15h31

Un vote sans intérêt, un résultat sans surprise. Dimanche 12 décembre, le troisième référendum d’autodétermination, organisé en Nouvelle-Calédonie malgré l’appel du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) à la non-participation, a vu le « non » l’emporter avec 96,49 % des suffrages exprimés, mais surtout une abstention en très forte hausse (56,1 %) – notamment dans les communes indépendantistes – par rapport aux consultations de 2018 (18,99 %) et 2020 (14,31 %), qui avaient été des modèles en termes de mobilisation électorale.

Des militants indépendantistes à Nouméa, le 21 août 2020. © Théo Rouby/Hans Lucas via AFP

Sur place, le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, a fait part de sa « grande fierté » et rappelé, comme il l’avait fait devant le Sénat quelques jours plus tôt, que la « légitimité juridique [du scrutin] ne faisait pas de doute ». S’agissant de sa légitimité politique, en revanche, c’est une tout autre affaire. Quelle analyse peut-on tirer d’un référendum auquel n’ont pas participé les principaux intéressés ? Que peut-on dire de la fin d’un processus de décolonisation qui se conclut en l’absence du peuple colonisé ? Pas grand-chose, sinon que l’exécutif français, dans son entêtement à maintenir la consultation en pleine crise sanitaire, a gâché l’épilogue de l’accord de Nouméa.

Ce qui n’a pas empêché la présidente de la province Sud, Sonia Backès, cheffe de file des loyalistes, de prononcer devant ses partisans un discours sans nuance ni recul : « Ce soir, nul ne peut contester notre victoire, nul ne peut contester notre appartenance à la nation française, a-t-elle dit. Les rêves tristes d’une indépendance au prix de la ruine, de l’exclusion et de la misère se sont brisés sur le récif de notre âme de pionniers, de notre résilience, de notre amour de notre terre. » Sur France Info, le président indépendantiste du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, a quant à lui insisté sur la nécessité de « reposer la question » de la pleine souveraineté.

« On est revenus à la case départ […]. Pour nous, ce n’est pas le troisième référendum. Nous considérons qu’en termes de légitimité juridique et politique, il n’y a que deux référendums, 2018 et 2020. Celui-là, c’est le référendum de l’État français et de ses soutiens en Nouvelle-Calédonie, pas le nôtre », a-t-il affirmé, expliquant avoir demandé l’aide des Nations unies « pour peaufiner » le projet d’indépendance et en présenter un « qui tienne la route » au futur exécutif français. « Nous viendrons aux discussions avec la personne qui va sortir des urnes de la prochaine présidentielle. Nous attendrons le prochain. Si c’est Emmanuel Macron, nous allons continuer à discuter. »

Pour la troisième fois, le « non » est arrivé en tête des suffrages, mais dans de telles proportions qu’il ne signifie rien. En 2020, lors du deuxième référendum d’autodétermination, la hausse de la participation et les résultats très serrés avaient laissé apparaître une forte dynamique du côté des indépendantistes. Laquelle n’avait cessé de se confirmer dans les mois suivants, ces derniers étant désormais en responsabilités au gouvernement de Nouvelle-Calédonie, au Congrès, mais aussi dans deux provinces sur trois, et dans 18 communes sur 33. 

Des chiffres avancé par l’entourage de Sébastien Lecornu pour marquer son étonnement face au « refus d’obstacle » (sic) des dirigeants du FLNKS, balayant ainsi tous leurs arguments en faveur d’un report. Ceux-ci sont pourtant on ne peut plus clairs : les Kanak, premières victimes de la pandémie, sont dans le temps des coutumes du deuil, qui sont intrinsèquement liées à leur identité, laquelle identité constitue le « préalable à la refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie », comme l’expliquait l’ancien conseiller de Michel Rocard pour l’outre-mer, Jean-François Merle.

C’est ce contrat qu’Emmanuel Macron a déchiré en maintenant quoi qu’il en coûte le scrutin du 12 décembre, malgré l’engagement pris par son ancien premier ministre, Édouard Philippe, de ne rien organiser « entre le milieu du mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022 », afin « de bien distinguer les échéances électorales ». Rien d’étonnant à cela puisque le chef de l’État s’était déjà illustré, dans ce dossier, en rompant sa promesse d’impartialité – dès 2018, il affirmait que « la France serait moins grande et moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ». Des mots qu’il a répétés le 9 décembre, en conférence de presse.

La Nouvelle-Calédonie s’est retrouvée prise dans un piège qu’elle avait soigneusement évité depuis 30 ans : devenir un enjeu de débats hexagonaux.

« Ce soir, la France est plus belle, car la Nouvelle-Calédonie a choisi d’y rester », a-t-il encore affirmé dimanche, dans une allocution diffusée quelques minutes après l’annonce des premiers résultats. Actant la conclusion juridique de l’accord de Nouméa, Emmanuel Macron a dit « accueillir la réponse de la Nouvelle-Calédonie à la question qui lui était posée avec respect et humilité ». « Humilité car nous aurons besoin de temps, encore, a-t-il ajouté. Si les trois consultations ont conduit à dire trois fois “non” à l’indépendance, chacune a porté un message différent que nous devons prendre en compte dans toute [son] épaisseur et nous ne pouvons ignorer que le corps électoral est resté profondément divisé malgré le passage des années. »

S’inscrivant dans la lignée de ses prédécesseurs et de « la sagesse de nos aînés », le président de la République a confirmé l’ouverture d’une « période de transition qui, libérée de l’alternative binaire entre le “oui” et le “non”, doit nous conduire à bâtir un projet commun en reconnaissant, en respectant, la dignité de chacun ». Les discussions à venir, a-t-il précisé, « ne pourront pas se limiter aux institutions ». Insistant sur l’action de l’État dans l’archipel pendant la crise sanitaire, il a évoqué plusieurs « sujets d’urgence », parmi lesquels l’équilibre des comptes publics, la réduction des inégalités, la jeunesse calédonienne, la stratégie nickel, la place des femmes, le foncier, l’autonomie alimentaire et énergétique… 

Sébastien Lecornu a donc été envoyé sur place afin de renouer rapidement le dialogue, alors même que les indépendantistes ont d’ores et déjà indiqué qu’ils attendraient la présidentielle de 2022 pour reprendre les discussions. Celles-ci seront d’autant plus ardues que la Nouvelle-Calédonie s’est retrouvée, par la seule volonté d’Emmanuel Macron, prise dans un piège qu’elle avait soigneusement évité depuis 30 ans : devenir un enjeu de débats hexagonaux. L’organisation du scrutin à quatre mois de l’échéance présidentielle a en effet ouvert les vannes de la droite et de l’extrême droite.

Depuis plusieurs jours, ces dernières ont vampirisé le dossier calédonien pour y plaquer leurs propres crispations identitaires et en faire un angle d’attaque politique. De tribunes indignées en tweets ravageurs, des élu·es ont tordu le processus de décolonisation dans tous les sens, au mépris de l’histoire de l’archipel et du peuple kanak.

Or, comme le rappelait Jean-Luc Mélenchon, dans cet entretien accordé à Libération quelques jours avant le scrutin, « qui a eu à traiter ce dossier sait qu’il se manie avec d’infinies précautions ». Avec Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), le chef de file de La France insoumise (LFI) est l’une des rares figures politiques de gauche à s’être exprimées, dimanche, sur le sujet, qualifiant d’« illégitimes » les résultats de la troisième consultation. « Retour à la case face à face », a-t-il tweeté.

Ellen Salvi

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