Sur la petite île de Mayotte, se croisent différents parcours et différents espoirs. Sur cette même petite île, les préfets se succédant se vantent régulièrement du nombre spectaculaire – 27 421 personnes en 2019 – de reconduites à la frontière. Toutes ces personnes, dans la pluralité de leurs parcours, se retrouvent face à une violence plurielle et systémique.

· L’exil à Mayotte, ou comment la violence d’État malmène les personnes exilées sur notre 101e département.

Tenter de comprendre un échantillon de cette violence est l’objet de cet article. Que vivent les “clandestins”, que vivent les “clandestines” à Mayotte ?

Le mot “clandestin” même témoigne d’une déshumanisation des personnes en exil et son omniprésence à Mayotte est un indicateur du climat de tension sur l’île. Face à ce mot qui confond l’illégalité d’une situation à l’identité d’un individu, nous parlerons de personnes en situation irrégulière. D’êtres humains dont l’illégalité n’est pas de vivre mais seulement une construction administrative.

Depuis 1972 et l’indépendance de l’Union des Comores, les 4 îles et leurs populations ont été séparées, et le visa Balladur rend en 1995 illégales les migrations historiques vers Mayotte depuis les autres îles de l’archipel. Cette séparation de l’île de Mayotte aux autres îles aura de nombreuses conséquences sur de nombreuses vies, et le témoignage de H., nous permet d’aborder certaines incidences de ces limites administratives sur son quotidien.

Depuis quelques années, pour atteindre notre beau “pays des droits de l’Homme”, certaines personnes exilées choisissent de passer par Mayotte. A travers le parcours de deux jeunes hommes, nous explorerons la difficulté de la demande d’asile sur cette petite île “des droits de l’Homme”. 

H. est grande comorienne, a deux enfants qui vivent toujours en Grande Comore et est une femme dynamique, toujours de bonne humeur. Mayotte, elle la connaît depuis longtemps : ancienne sélectionneuse et sportive, elle est venue de nombreuses fois dans sa jeunesse pour disputer des compétitions de football et de basketball. Lorsqu’elle est victime d’un accident de scooter en 2009, elle est gravement blessée au poignet et les services de santé comoriens ne sont pas en capacité de l’aider. H. se rend donc à Madagascar pour des soins, puis à Mayotte. Après avoir tenté sans succès d’obtenir un visa sanitaire, elle décide d’emprunter un kwassa-kwassa (ndrl : embarcation de fortune allant d’Anjouan à Mayotte) pour espérer être soignée sur l’île française. Après un an et demi de soins, une médecin préconise son évacuation vers la France métropolitaine ou l’île de la Réunion, l’opération nécessaire n’étant pas possible à Mayotte. Après le départ de cette médecin, elle prend rendez-vous avec un autre docteur et se heurte rapidement à des propos discriminatoires :

“Il m’a dit ‘Madame si tu n’as rien je ne peux pas vous aider, d’ailleurs la France est fatiguée de vous, vous les comoriens à chaque fois vous venez ici ceci, cela, donc si tu n’as pas de papiers tu rentres chez toi’.”*

Elle ne sera donc pas évacuée, ce qui engendra une perte de mobilité de son poignet. Contrainte de rester sur l’île pour ses soins, elle s’y installe durablement. Très engagée dans la vie associative de sa ville natale, elle poursuit cet engagement à Mayotte, où elle a été, et est toujours, bénévole dans différentes associations d’éducation et de santé. Elle donne aussi des cours de soutien à des enfants pour subvenir à ses besoins. Dans sa vie quotidienne, l’illégalité de sa situation impacte sa liberté de déplacement : le risque d’interpellation est omniprésent. La peur de croiser la PAF (ndrl : Police Aux Frontières) limite ainsi les déplacements de milliers de personnes qui renoncent notamment aux soins ou encore à l’accès à l’eau potable. Des stratégies d’évitement sont mises en place ; pour remplir ses responsabilités associatives, H. se rend sur son lieu de bénévolat à 6 heures du matin et attend deux heures le début de sa mission. Elle évite également de se déplacer à certaines heures.

“Je ne sors que le matin, je rentre aux environs de 13 heures, je ne traîne jamais sur la route vers 8h, 9h, 10h.”*

A. et T. sont deux cousins d’origine Rohingya, arrivés sur l’île aux parfums en novembre 2020. Membres d’une ethnie persécutée, leurs grand-parents ont fui la Birmanie, les deux cousins sont donc nés en Arabie Saoudite, où leur famille avait choisi de vivre. Pour vivre et survivre dans ce pays, leur famille a dû se procurer illégalement des papiers pakistanais. A. et T. y ont étudié, néanmoins, dépourvus de droits, ils sont contraints de fuir. 

“En Arabie Saoudite, parce que nous sommes nés en Arabie saoudite, nous n’avons pas le droit à la citoyenneté par naissance, nous n’avons aucun droit, aucun droit humain, donc pour toutes ces raisons, nous avons choisi de venir trouver des droits en France”.**

Les deux jeunes poursuivent leurs études en médecine et chirurgie, l’un au Soudan et l’autre au Yémen, puis au Soudan, où le contexte les met rapidement en difficulté. Leurs différents départs leurs rappellent constamment une dure réalité : depuis leur naissance, A. et T. ne sont reconnus par aucun pays.

“Nous n’appartenons à aucun pays, nous sommes nés en tant qu’apatrides.”**

N’ayant aucun papier birman, ils ne peuvent retourner dans leur pays d’origine. Leurs seuls papiers d’identité sont des papiers falsifiés. Les deux jeunes décident de se rendre en France, et choisissent de passer par Mayotte. La situation sanitaire du covid-19 clôturant encore plus les frontières qu’auparavant, ils élaborent leur trajet en fonction des restrictions de voyage. Dans le labyrinthe des décisions gouvernementales, ils décident de passer par l’Éthiopie. De l’Éthiopie, ils obtiennent un visa de tourisme vers les Comores, après avoir réservé des hôtels et un vol retour, en prétextant un voyage pour fêter leur diplomation. Après différentes difficultés, ils parviennent à prendre un kwassa-kwassa et arrivent finalement sur l’île après douze heures de navigation, décidés à jouir enfin de leurs droits humains.

Je suis un réfugié, fils de réfugié, petit-fils de réfugié, et si je regarde l’avenir… si j’étais resté dans notre pays, je ne vois pas d’avenir pour moi et je ne vois pas d’avenir pour mon fils, il n’y a d’avenir pour personne. Donc je devais mettre une fin à mon histoire, même si j’allais mourir en mer, je voulais commencer une nouvelle vie, donc j’ai décidé de prendre un kwassa-kwassa pour mettre fin à ma misère, à toute ma souffrance […] J’ai demandé l’asile, j’ai mis fin à mon histoire et j’ai ouvert une nouvelle page“.**

A Mayotte, ils sont bénévoles dans une association, voient des amis et cuisinent différents plats délicieux avant de les livrer en scooter. Après avoir déposé une demande d’asile et de reconnaissance en tant qu’apatrides, ils ont attendu plusieurs mois pour recevoir une convocation à leur entretien. La magie administrative a fait que leur convocation a été envoyée après la date de l’entretien, allongeant encore leurs démarches. Après avoir obtenus un nouvel entretien, ils sont toujours en attente de la réponse de notre pays à leur accorder l’asile.

Les demandeurs d’asile n’ayant pas le droit de travailler dans les lois françaises, ils reçoivent normalement à une aide financière pour subvenir à leurs besoins alimentaires et pour se loger lorsqu’ils n’ont pas de place dans un CADA (ndrl : Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile). Ces aides, insuffisantes en France métropolitaine, sont encore plus faibles à Mayotte : des bons alimentaires d’un euro par jour sont proposés pendant les six premiers mois de la demande d’asile. Outre la faiblesse de la somme, le fait qu’elle ait une date limite est totalement paradoxal : dans un département où la lenteur administrative des demandes d’asile est particulièrement présente, limiter dans le temps cette faible aide est indigne.

Dans ce contexte financier, les personnes demandant l’asile n’ont pas d’autre choix que d’occuper des emplois instables et illégaux comme taxi-moto, vendeurs à la sauvette ou encore dans la restauration.

Sur cette petite île française, la vie des personnes exilées est complexifiée, quel que soit leur statut administratif, par de nombreux obstacles. Outre la complexité des différentes démarches, spécialité nationale encore renforcée sur l’île, leur liberté de déplacement ou encore de travailler sont bafouées. 

*Interview réalisée le 27 juillet 2021

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