Hormis un pic lié au Covid-19 et aux confinements en 2020-2021, le sentiment de solitude et l’isolement restent plutôt stables en France, mais fait souffrir des dizaines de milliers de personnes en Nouvelle-Aquitaine. A Bordeaux et en Gironde, les associations jouent un rôle primordial dans l’accompagnement et l’écoute de solitudes qui peinent à s’exprimer dans la société. Tour d’horizon, alors que se tient ce mardi 2 mai à Bordeaux une journée d’échanges contre l’isolement des personnes âgées.

11 millions de personnes se sentent seules en France. Ce constat, dressé par l’étude Solitudes 2022, menée par la Fondation de France en partenariat avec le Crédoc, masque des réalités très diverses entre sentiment de solitude et isolement social.

Béatrice Bausse, déléguée générale de la Fondation de France du Sud-Ouest, souligne qu’hormis une forte hausse en 2021 à cause du Covid-19, « l’isolement et la solitude ne diminuent pas en France, ils restent plutôt stables depuis 2010. On note toutefois que la solitude est plus vive dans les grandes métropoles ».

Et de poursuivre :

« L’isolement social est une mesure objective. On estime que sur cinq réseaux de sociabilité (famille, travail, amis, voisinage, associations), une personne est isolée quand elle n’a qu’un réseau, par intermittences. »

56000 personnes « en situation de mort sociale »

Chiffres

11 millions de personnes ressentent un sentiment de solitude en France

11 % des plus de 15 ans se trouvent en situation d’isolement relationnel

2 fois plus d’isolement relationnel chez les chômeurs que chez les actifs en poste

20 % de la population de plus de 15 ans éprouve un sentiment de solitude. Un chiffre qui ne baisse pas malgré la fin de la pandémie

1 personne sur 5 se sent régulièrement seule et le fait d’avoir des relations sociales ne protège pas toujours du sentiment de solitude

80 % de ceux qui éprouvent un sentiment de solitude en souffrent.

La solitude est quant à elle une notion subjective. On peut aussi exprimer un sentiment de solitude en étant pourtant entouré. « Les jeunes et les plus âgés vont plutôt parler d’ennui que de solitude. Il est parfois difficile de dire qu’on se sent seul », insiste Béatrice Bausse.

Si l’étude pointe que la précarité et le chômage accentuent l’isolement et la solitude, elle montre que les classes moyennes supérieures et les hauts revenus ne sont pas totalement épargnés. En 2022, « ils étaient 8 % à être en situation d’isolement relationnel contre 11 % des classes moyennes inférieures et 15 % des personnes bénéficiant de bas revenus ».

Plusieurs structures tentent de faire face à ce phénomène. L’association Monalisa (mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés), par exemple, développe avec l’appui du conseil départemental de la Gironde un réseau d’acteurs et d’aidants sur tout le territoire pour lutter contre la « situation de mort sociale » dont souffriraient 56000 aînés en Nouvelle-Aquitaine – un isolement de tout cercle familial et amical. Elle organise ce mardi 2 mai une journée de sensibilisation à l’Athénée municipal, à Bordeaux.

« Être à l’écoute, faire preuve d’empathie »

À Bordeaux, l’association Astrée œuvre depuis vingt-cinq ans contre la solitude, depuis le quartier Saint-Michel. Elle compte une vingtaine de bénévoles qui assurent une « écoute active, un accompagnement et un suivi régulier à toute personne souffrant de solitude, par téléphone ou en présentiel ».

Nadine Doléac, formatrice et chargée des premiers entretiens, Martine Pededieu, accompagnatrice et chargée de communication et Jean-Luc Furlanetto, bénévole et ancien infirmier en psychiatrie, insistent toutefois sur un fait :

« Nous ne sommes pas psys, même si nous pouvons orienter les personnes vers des structures de soins. Notre rôle est d’être à l’écoute, de faire preuve d’empathie. »

Selon ces bénévoles, « la solitude reste un sujet tabou dans notre société, les personnes ont du mal à en parler et nos bénéficiaires sont souvent seuls depuis longtemps ». Astrée a accompagné 59 personnes en 2021 puis 43 en 2022. L’association suit davantage de femmes que d’hommes, 76 % en 2021, avec une moyenne d’âge autour de 45 ans. Des personnes habitant dans toute la Gironde et même au-delà, en Dordogne voire jusqu’à La Rochelle.

Annie, 62 ans, vit en pleine campagne entre Langon, La Réole et Bazas. L’ancienne enseignante en maternelle, à Bordeaux, est épaulée depuis un an par Jean-Luc, après avoir tapé le mot solitude dans Google.

« Il est parfait pour moi, fait plus que m’écouter, me conseille des lectures, des films… J’ai perdu mon mari il y a deux ans, d’un cancer fulgurant qui l’a emporté en un mois. Ça a été un choc terrible, j’étais très amoureuse de lui, il était toute ma vie. »

Jean-Luc Furlanetto, Martine Pededieu et Nadine Doléac, bénévoles de l’association Astrée (CB/Rue89 Bordeaux)

Très affectée, la sexagénaire a arrêté de travailler et pris une retraite anticipée. Elle pensait être proche des parents d’élèves investis de son école mais ils ne lui ont pas tendu la main, dit-elle. Et les relations sont compliquées avec sa mère et sa fille.

Une association, une famille

Elle aussi implantée dans le quartier Saint-Michel, l’association Promofemmes propose depuis trente ans un accompagnement global à des femmes issues de l’immigration, habitant dans toute la métropole de Bordeaux. Des femmes souvent isolées lors de leur arrivée en France, notamment à cause de la barrière de la langue.

« On suit près de 500 femmes par an, issues de 60 pays. Notre action se décline en sept pôles : apprendre – avec des cours de français et de calcul notamment –, accès aux droits, santé, soutien à la parentalité, culture, convivialité (avec le salon de thé du mercredi, les ateliers couture…) et insertion socio-professionnelle. L’idée est de permettre aux femmes de s’intégrer, de se créer un réseau de sociabilité et de devenir autonomes », détaille la présidente, Cécile Deniau-Smith.

Fariba, 52 ans, a rencontré son mari en France, où elle vit depuis vingt-trois ans. D’origine iranienne, elle donne des cours d’arts plastiques et a toujours aidé les autres.

« Il y a cinq ans, je voulais faire quelque chose de significatif et une amie m’a parlé de Promofemmes. Je suis devenue bénévole. Je ne me sentais pas seule mais j’avais besoin de rencontres autres que la famille et les amis. Ici, je peux rendre la pareille, aider des femmes qui sont dans une situation que j’ai connue aussi. »

Depuis 1994, l’association Promofemmes accompagne les femmes issues de l’immigration. Elle compte plus de 90 bénévoles (©Promofemmes)

Un accompagnement jusqu’à la fin

En Sud-Gironde, l’antenne locale des Petits Frères des pauvres compte 10 bénévoles, dont Denise Aubert, 84 ans, investie depuis sept ans.

« On suit huit personnes dont certaines très handicapées, dans une grande solitude familiale et amicale. Comme ce Monsieur qui a fait un AVC sévère, a tout le côté gauche paralysé et des difficultés à parler. Il n’a pas de famille du tout et passe ses journées devant la télé. Ou cet autre de 73 ans qui nous a été envoyé par l’hôpital de Cadillac. Dans sa vie, il a connu la rue, le viol, l’alcool… Nos bénéficiaires ont plus de 55 ans, on les accompagne souvent jusqu’à leur décès. »

Les Petits Frères des pauvres comptent six autres équipes dans le département qui accompagnent près de 260 personnes, dont la grande majorité (autour de 200) à Bordeaux et ses alentours.

Mettre en place des synergies

Si l’étude Solitudes 2022 de la Fondation de France souligne le rôle essentiel des associations auprès des personnes les plus isolées, elles ne sont pas les seules à prendre le sujet à bras-le-corps. La lutte contre l’isolement est devenue un axe de politique publique officiel depuis 2020, au niveau national, et décliné localement.

Ainsi, en Gironde, Boris Callen, jusque-là directeur adjoint du CCAS de Floirac, vient d’être détaché de la fonction publique pour « piloter, à la demande du Département, la Mobilisation nationale contre l’isolement des âgés (Monalisa)« .

« Je suis chargé de structurer la lutte contre l’isolement en Gironde. Nous devons mettre en synergie les différents acteurs (associations, collectivités…) car le sujet est complexe et nécessite le plus de transversalité possible. Notre objectif est d’apporter des réponses adaptées au territoire, de créer des écosystèmes du premier cercle. »

Tabou car relevant a priori de la sphère intime, la question de l’isolement et de la solitude finit par devenir politique, en particulier depuis la crise sanitaire qui a mis en lumière cette solitude des aînés comme des étudiants, notamment à Bordeaux. Car, à tout âge, la solitude et l’isolement sont sources de souffrance.

La solitude, un sujet dont s’empare les associations

À Bordeaux et en Gironde, d’autres associations proposent une écoute active et des actions pour briser le tabou de la solitude, de la maladie, et/ou contribuer à l’insertion sociale et professionnelle. Sans prétendre être exhaustif, on peut notamment citer :

  • à Bordeaux : SOS Amitié, La Porte ouverte, Clubhouse Bordeaux, Ruelle (Relais urbain d’échanges et de lutte contre l’exploitation), La Maison RoseUp (solidarité entre femmes face au cancer), Alifs (Association du lien interculturel familial et social), les Centres d’animation, etc. Depuis le 6 avril, l’association Article 1 propose aux jeunes l’opération « Reste pas dans ton coin », chaque premier jeudi du mois à la ManuCo, 15 rue Causserouge, dans le quartier Saint-Michel. Un événement convivial pour créer du lien social.
  • à Sainte-Foy-la-Grande : Cœur de Bastide (qui contribue à créer du lien social et à redynamiser la commune)
  • à Saint-André-de-Cubzac : Graine de coop (tiers-lieu, espace de coworking, accompagnement des demandeurs d’emploi et, à partir de mai, café-restaurant

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