La Turquie accueille près de 5,5 millions de réfugiés, dont la majorité sont des Syriens. À deux semaines de l’élection présidentielle, presque tous les partis utilisent la thématique migratoire pour tenter de convaincre les électeurs de voter pour eux. Leur objectif : expulser un maximum de Syriens en cas de victoire.

“Est-ce que j’ai le droit d’aller en Syrie pour commettre un meurtre ? Non !”, lance un homme, en colère, dans le quartier de Bagcılar, à Istanbul. Il a perdu son frère, un ouvrier dans le secteur du textile, abattu par un ressortissant syrien lors d’une altercation entre deux groupes.

La famille de la victime a depuis reçu la visite de Sinan Ogan, leader de l’alliance ATA, une coalition de partis nationalistes. “Je vous promets que nous renverrons les Syriens dès que possible. Nous ne permettrons pas qu’un autre Turc soit assassiné par un Syrien”, assure Sinan Ogan.

L’ultranationaliste est l’un des quatre candidats à l’élection présidentielle du 14 mai en Turquie. Ses chances sont néanmoins minimes. À deux semaines du scrutin, les intentions de vote pour Sinan Ogan ne dépassent pas les 2,5 % dans les sondages.

Mais l’alliance ATA n’est pas la seule formation à attiser un sentiment anti-réfugiés lors de cette campagne. À l’exception d’une coalition de gauche pro-kurde, toutes les autres formations se sont engagées à renvoyer immédiatement les ressortissants syriens si elles remportent les élections.

Kemal Kiliçdaroglu, chef de file du Parti républicain du peuple et à la tête de la principale alliance de l’opposition, prône également la fermeté. Il en a d’ailleurs fait sa priorité depuis des années. S’il remporte le scrutin, Kemal Kiliçdaroglu promet de négocier le retour des Syriens avec le régime de Damas.

Son alliance veut également revoir l’accord UE-Turquie, tout en mettant en place des accords de rapatriement avec d’autres pays tiers.

Le principal rival de Recep Tayyip Erdogan propose aussi de renforcer la surveillance des frontières à l’aide de nouvelles technologies, de drones et par la construction de murs. Enfin, son alliance veut revoir les modalités d’obtention de visas avec plusieurs États.

Sinan Ogan, le leader de l’alliance des nationalistes. Crédit : Picture alliance
Sinan Ogan, le leader de l’alliance des nationalistes. Crédit : Picture alliance

Il y a encore un an, le parti AKP au pouvoir saluait la présence des Syriens, en les considérant avant tout comme une main-d’œuvre bon marché indispensable. Mais la crise économique que traverse le pays a changé la donne. La société turque en fait désormais des boucs émissaires, responsables de l’inflation et de la pauvreté. L’AKP a ainsi fait volte-face pour aller dans le sens de l’opinion publique.

“En réalisant après plusieurs années que les Syriens ne rentreront pas chez eux, l’humeur a changé”, note Murat Erdogan, chercheur sur les migrations à l’université d’Ankara.

Il explique que les partis d’opposition ont été les premiers à s’emparer du mécontentement croissant de la population. Le parti AKP a suivi le mouvement. Le président Recep Tayyip Erdogan a ainsi assuré travailler sur le retour volontaire et en sécurité des Syriens. “L’AKP s’est récemment vanté du grand nombre d’expulsions”, précise Murat Erdogan.

La majorité des Turcs sont favorables au retour des Syriens

Pendant cinq ans, le chercheur a travaillé sur le “baromètre syrien”, un sondage annuel qui se penche sur le vivre-ensemble et les rapports entre Turcs et Syriens en Turquie.

L’étude montre que la question des réfugiés est devenue de plus en plus importante au yeux des personnes interrogées, au point de se classer parmi les principales préoccupations des Turcs. “Dans la dernière étude, la question des réfugiés s’est hissée à la deuxième place, juste après la crise économique”, explique le chercheur.

L’enquête s’est également demandée si les politiques migratoires prônées par les différents partis avaient un impact sur le vote des électeurs. “Jusqu’à 60 % des participants ont répondu par l’affirmative”, a constaté Murat Erdogan. Ainsi, selon le baromètre, plus de 88 % des Turcs souhaitent le départ des réfugiés syriens, tout comme 85 % des électeurs de l’AKP.

Kemal Kiliçdaroglu, le principal rival du président Erdogan | Photo : DHA
Kemal Kiliçdaroglu, le principal rival du président Erdogan | Photo : DHA

Le retour des Syriens est toutefois très irréaliste, d’après Murat Erdogan. La Turquie accueille actuellement plus de 3,5 millions de Syriens bénéficiant d’une protection temporaire. De plus, quelque 100 000 ressortissants syriens disposent d’un permis de séjour et entre 200 000 et 300 000 ont été naturalisés.

Par ailleurs, environ 400 000 réfugiés en situation irrégulière, principalement originaires d’Afghanistan, du Pakistan, d’Irak et d’Afrique, ainsi qu’un million de réfugiés en attente d’être expulsés vivent en Turquie, selon le chercheur, qui note qu'”aucun autre pays au monde n’a accueilli autant de réfugiés que la Turquie”.

De nombreux Syriens vivent dans le pays depuis plus de 10 ans. Leurs enfants vont à l’école, ils occupent un emploi, même s’il s’agit le plus souvent de métiers non déclarés.

“Les renvoyer dans les prochaines années, comme le prétendent les partis, est impossible”, estime Murat Erdogan.

Violences contre les Syriens

L’inflation galopante, le chômage élevé et la pauvreté pèsent sur la cohésion sociale en Turquie. La politique des faibles taux d’intérêts menée contre vents et marées par le président Erdogan n’ont fait qu’enfoncer le pays dans la crise économique.

Plus de la moitié des réfugiés syriens veulent désormais quitter la Turquie. Crédit : DW
Plus de la moitié des réfugiés syriens veulent désormais quitter la Turquie. Crédit : DW

Les partis populistes et nationalistes de droite notamment profitent de cette situation pour attiser le sentiment de xénophobie ambiant. Selon eux, de “jeunes hommes étrangers” prendraient le contrôle de la Turquie. 

La rhétorique anti-réfugiés a fini par déborder et se transformer en violence. En août 2021, une foule a vandalisé des magasins syriens à Ankara. Les propriétaires ne payaient pas d’impôts et vivaient des aides de l’État. 

En janvier 2022, un groupe masqué a poignardé Nail Alnaif, un Syrien de 19 ans, dans son appartement d’Istanbul. Quelques mois plus tard, en juin, les forces de sécurité turques ont abattu 35 réfugiés dans la ville d’Osmaniye. Ils auraient tenté de s’échapper de leur centre d’accueil.

Enfin, à la suite du tremblement de terre de février, de nombreux réfugiés ont été accusés de pillage et de vol.

Selon plusieurs spécialistes des questions migratoires, ce climat de peur pousse de plus en plus de réfugiés à vouloir quitter la Turquie, notamment en direction de l’Europe.

Il y a quatre ans, un Syrien sur quatre souhaitait quitter la Turquie pour un pays tiers. Ce chiffre est passé à 55 % dans la dernière enquête du baromètre syrien. Si l’on interrogeait les Syriens aujourd’hui, ce chiffre “dépasserait certainement la barre des 70 %”, se désole Murat Erdogan.

Auteur : Elmas Topcu

Source : dw.com

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.