Le Guide DU BORDEAUX COLONIAL, 7 Juillet 2022Le Guide du Bordeaux Colonial, le rendez-vous décolonial

Rencontre avec Christine Chivallon, anthropologue affiliée au CNRS de Bordeaux, pour un échange autour de la notion de mémoire, avec un éclairage sur la complexité de la mémoire de l’esclavage dans l’espace caribéen francophone.

1h19m

Le Guide du Bordeaux Colonial, le rendez-vous décolonial

Questionner les mémoires de l’esclavage dans les Caraïbes, avec l’anthropologue Christine Chivallon https://www.lacledesondes.fr/article/questionner-les-memoires-de-lesclavage-dans-les-caraibes-avec-lanthropologue-christine-chivallon?fbclid=IwAR2vFtrW4NdBFyYwbSkBwVSvnAQ2hO4A7ui4plk-tHhdBrAzSlhhvODV3TI

Photo de l'article: Questionner les mémoires de l'esclavage dans les Caraïbes, avec l'anthropologue Christine Chivallon
Œuvre de l’artiste Laurent Valère, Mémorial Cap 110 – Mémorial de l’Anse Cafard (Denis Brothier/Flickr/CreativCommons)

Pour notre dernière émission de l’année, nous avons l’honneur d’accueillir Christine Chivallon, anthropologue au CNRS de Bordeaux. Une conversation riche sur la question complexe, multiple, de la mémoire de l’esclavage dans l’espace caribéen et bordelais.

“La mémoire est le ciment d’un groupe social, c’est le ciment d’un collectif. Elle permet au groupe d’exister au delà du caractère éphémère de nos existences individuelles.”

“Les sociétés humaines ont besoin de la mémoire pour construire leur groupe d’appartenance. Et ce groupe d’appartenance n’est jamais créé pour quelque chose d’éphémère. On a tous l’inquiétude du temps qui passe. Il y a quelque chose de l’ordre de la continuité. Et nos sociétés actuelles, c’est le paradigme post-moderne, nous arrachent à la dimension temporelle, elles nous projettent dans de la simultanéité. Ce qui fait que le phénomène mémoriel est important. (…). Nous sommes dans une époque où le présentisme l’emporte d’où, peut-être, cette expérience mémorielle généralisée qui fait que l’on essaie de se rassurer. On a besoin d’un rapport au passé.”

nom de la photo
La Carte postale, peinture à l’huile sur toile de l’artiste martiniquaise Nadia Valentine

“Côté antillais, il y a une mémoire de l’ordre du vécu. C’est la mémoire de l’oppression. La mémoire de la domination et de la violence extrême qu’a été l’esclavage.”

“Il y a une différence de création des registres mémoriels relatifs à l’esclavage. Dans la sphère européenne, on n’arrive pas à trouver le bon langage. Car on est du côté de la colonisation, du passé colonial dominateur, oppresseur. Et avec des codes qui sont ceux de la nation, qui a ses outils pour gérer le mémoriel qui passe par le musée, les commémorations, le patrimoine. Comme une langue, on parle une langue à travers cet usage des rites.”

“L’esclavage a une mémoire que l’on figure, autant dans les espaces publics antillais que français, dans le passé. Or elle est réactualisée. C’est-à-dire que les rapports sociaux actuels reproduisent sous des schèmes le sens des rapports qui ont été mis en place dans la société de plantation. Ce que Loïc Wacquant appelle « les machines à fabriquer la race » (…) Aux Antilles il y a deux nouvelles « machines à fabriquer la race » : le musée et l’hypermarché.”

nom de la photo
Manifestation de 2009 en Martinique pour dénoncer l’augmentation des prix. La pancarte de cette manifestante, en créole, signifie :”Béké l’esclavage est fini, le peuple en a marre et c’est vous qui nous l’avez dit”

Les Békés sont les créoles blancs, descendants directs des esclavagistes européens. Ils sont un groupe minoritaire, mais pour autant puissants, détenant la majeure partie du foncier agricole et de l’économie insulaire. Cette phrase illustre la continuité des rapports des pouvoirs issus de l’époque coloniale.

« Ça force à l’admiration de voir la capacité de résister à autant de violence, à une violence extrême. Et je pense que c’est ce qui donne toute cette particularité à cette formation culturelle (aux Antilles), qui est certes hyper-conflictuelle, hyper-clivée, qui amène une violence dans les rapports sociaux qui est terrible (…). Et en même temps une force, une humanité qui est exceptionnelle.»

nom de la photo
Première oeuvre d’une série de 60 dessins : “Tiban dorée” de l’artiste guadeloupéen Thierry Alet, 2014

« “Apres cent ans de domination, la culture s’est rigidifiée” (Frantz Fanon). Voilà, en quelques mots empruntés à Fanon, la raison de cette série de 60 dessins uniques. Les choses mêmes que nous défendons corps-et-âmes comme symboles inaliénables de notre identité culturelle ne sont-elles pas les garantes des systèmes de domination ?» Thierry Alet

Musiques diffusées durant l’épisode :

  • Simon Chivallon, La Mer
  • Andy Palacio & The Garifuna Collective, Watina

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.