« Espérais-tu que les lecteurs compatiraient ? (…) Ils se seraient offusqués sur les réseaux pendant dix minutes. Et puis, ils se seraient resservi un verre de chardonnay. »

Cette adresse irrévérencieuse à un écrivain qui n’est autre que l’auteur lui-même constitue l’un des piliers de La Réfugiée. Afin de se libérer du marasme dans lequel l’avait plongé son insoutenable proximité avec des migrants, rencontrés au Liban ou sur l’île grecque de Lesbos, Rabih Alameddine s’est en quelque sorte éclipsé. Le personnage qui le représente n’a ni nom ni sentiments. La narratrice, une médecin transgenre américano-libanaise, s’appelle Mina. Son identité sexuelle, la violence du rejet dont elle a fait l’objet de la part des siens au Liban et qui a présidé à son émigration inscrivent entre elle et les réfugiés syriens dont elle s’occupe une prégnante parenté. En particulier avec Sumaiya, au stade terminal d’un cancer, que Mina accompagnera jusqu’au bout, jusqu’à l’euthanasie – qu’elle pratique dans une tente de fortune avec des ersatz de médicaments.

En de courts chapitres, parfois une page à peine, Alameddine convoque, autour de ces deux femmes, une constellation de destins de réfugiés syriens. Ces témoignages, d’une patente véracité, enchâssés dans l’histoire de Mina, composent, entre reportage littéraire et fiction, un texte audacieux tout en contrastes et ruptures. L’écriture elle-même se fait empathique et corrosive, selon qu’elle donne à entendre le malheur des laissés-pour-compte ou qu’elle bouscule quelques idées reçues sur la littérature – notamment son pouvoir de toucher, de toucher vraiment le lecteur. Eglal Errera

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