Hervé Le Corre est un auteur de roman noir, pour ceux qui en doutent, courez vous procurer « Traverser la nuit », son dernier opus, qui tient d’ un autre  Voyage au bout de la nuit pour la vision pessimiste du monde dans lequel on se débat. Noir c‘est noir, et comme dit la chanson il n‘y a plus d’espoir. En l’occurrence ici pour les femmes victimes de la violence des hommes. Oh! pas de tous les hommes, certes mais  quelques malades et pervers qui s’acharnent.

 Jourdan, le flic chargé avec son équipe d’élucider les meurtres de femmes n’en peut plus, les images de scènes de crime qu’il est contraint de voir le poursuivent : le type fou de jalousie qui tue sa femmes et ses deux gosses, la prostitué massacrée dans son fourgon,  la jeune femme torgnolée par son ex pervers, le tout dans un Bordeaux sous la pluie, la brume, les embouteillages. Noir comme dans la tête du tueur en série de femmes prises, surprises,  au hasard de la rue ; la tête fêlée de ce type victime d’une mère abusive et qui réussit même à se faire virer de l’armée  «   Des cris le réveille mais il garde les yeux fermés.(…). De l’eau cataracte  dans une canalisation. Il écoute au plus loin qu’il peut l’écoulement épais et croit pouvoir suivre sa chute jusqu’ à l’égout. Il imagine à  cet instant toutes ces saletés qui sortent des corps, retenues pendant la nuit et il sait bien que les humains se défont de leur fange, se purgent de ce qu’ils ont accumulé des heures durant, résultat de toutes leurs activités de la journée, puisque c’est à ça qu’ils se résument, de molles machines à fabriquer de la merde, il sait bien, lui, que tout le jour ils vaqueront sous leur masque avenant, drapés, enrobés dans leurs habits, déguisés en êtres civilisés, travestis pour le grand carnaval sordide, grands singes savants, guenons rusées, tâchant de dominer leur état de rut permanent, leur violence, leurs rêves de puissance, leurs envies de meurtre, ses pulsions d’animaux qu’ils nomment amour, désir, ambition, ces mots qu’ils utilisent comme du papier hygiénique pour torcher leurs turpitudes. Tous les matins ils vidangent la fosse septique qu’ils s’appliquent à remplir chaque jour, heure après heure, en feignant d’ignorer ce qui macère en eux. » p 45

                                L’amour maternel

Quelques éclaircies dans ce paysage sinistre, comme  l’amour maternel, qui permet de tenir le devers pour Louise, poursuivie par la violence d’un ex, et son petit ange Sam .  « Il entre dans la cuisine clignant des yeux, les frottant du revers de la main. Il se gratte le bas du dos à travers son haut de pyjama Superman. Elle ouvre ses bras, ses jambes et il vient les yeux baissés se blottir au milieu d’elle. Il presse sa tête contre sa poitrine.  Elle embrasse ses cheveux. Elle sent la chaleur de son corps léger se répandre sur elle et il lui semble voler un moment d’éternité, quelque chose d’absolu qu’elle ne sait nommer. Peut- être une parenthèse hors du temps. » p 21

copyright Philippe Matsas

Un peu comme le psy de la séries d’Arte  qui fait fureur, En thérapie, où le thérapeute est lui-même en proie aux mêmes affres affectives que ses patients, notre bon flic assiste impuissant à la dévastation de sa propre famille, sa femme le quitte, sa fille l’accable, lui reprochant vertement sa captation par ses enquêtes, son silence familiale, et du coup, il passe une nouvelle couche de noir sur le paysage.   « Il est persuadé, Jourdan, que ça va se casser la gueule, que les lumières s’éteindront, que les images saturant les écrans, les voix surgies du lointain n’arriveront plus nulle part, perdues dans d’infranchissables distances comme ces oueds absorbés par le désert. Il ne sait pas quand ni comment mais il est sûr que ça se produira, chaos climatique, incendies géants, épidémies, les conjugaisons du pire sont déjà imprimées, leurs règles implacables connues de tous, au futur exclusivement. Temps barbare vers quoi on apprend encore des enfants à marcher. » p 227

Et sadique l’auteur, quand il nous laisse entrevoir une lumière au bout du tunnel, ça se fracasse lamentablement, je ne veux pas spoiler la fin. Malgré sa noirceur, je vous recommande une nouvelle fois de plonger dans l’univers de ce, grand , auteur -bordelais certes mais qui depuis déjà quelques titres a acquis une reconnaissance nationale et bien plus-, sans concession avec la réalité, c’est pas le genre de la maison en revanche, le style vaux aussi le détour, c’est tenu et soutenu.   

                             Jean-François Meekel

Hervé Le Corre Traverser la nuit Rivages/Noir 20,90 euros

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