Épisode 1/4 : Administration coloniale française, élites locales, liaisons dangereuses en Afrique

Des chefs coutumiers de la fin du XIXe siècle aux élites occidentalisées des années 1950, l’histoire de l’administration coloniale française en Afrique subsaharienne ne peut être racontée sans évoquer le recours constant aux élites locales.

Avec

  • Nicolas Bancel Historien, professeur à l’Université de Lausanne, spécialiste d’histoire coloniale et postcoloniale
  • Carole Reynaud-Paligot Historienne, chercheuse associée à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et enseignante à l’Université de Bourgogne
Proclamation du nouveau roi du Dahomey. Illustration d’Oswaldo Tofani en une du “Petit Journal” du 19 février 1894 ©Getty – Art Media/Print Collector

Par définition, la Françafrique n’existe qu’après les décolonisations, dans les années 1960. C’est alors que s’organise une diplomatie de l’ombre, où les amitiés se mêlent aux intérêts stratégiques et bien sûr financiers : c’est la France à fric ! Pourtant, ces amitiés qui lient les élites de l’ancienne puissance coloniale aux élites des pays nouvellement indépendants sont nées pendant la colonisation : chefs coutumiers, notables d’Afrique équatoriales ou occidentale française, « évolués », c’est une histoire d’amitiés et d’intérêt réciproques, souvent au détriment des populations.

Dès la fin du XIXe siècle, les autorités françaises créent dans les colonies africaines un maillage administratif sur mesure. Idéologie coloniale et civilisatrice oblige, ce système est loin de reposer sur les mêmes valeurs et principes qu’en métropole. Le gouverneur est un personnage tout-puissant nanti de pouvoirs exécutifs, législatifs et diplomatiques, et il est chargé d’administrer la colonie autant que d’assurer la mise en place concrète du dessein colonial : développer, éduquer, soigner, évangéliser, en un mot, “civiliser”. L’école est appelée à jouer un rôle majeur dans la concrétisation de cette idéologie coloniale : “il faut souligner une chose essentielle, et très symbolique : sur le premier bateau qui part de métropole pour prendre possession de ce territoire, il y a un instituteur. L’idée d’ouvrir des écoles et d’instruire la population existe dès le début du processus de colonisation”, explique Carole Reynaud-Paligot.

Cependant les administrateurs coloniaux se rendent assez vite à l’évidence : il est impossible de prospérer et d’asseoir une domination coloniale sans avoir recours à des auxiliaires indigènes et au soutien des élites locales. Les chefs coutumiers sont ainsi mis à contribution et tiennent le rôle de courroie de transmission de l’autorité coloniale.

À partir de l’entre-deux-guerres, et surtout au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une élite d’un nouveau genre émerge en Afrique subsaharienne. Occidentalisée et lettrée, cette nouvelle génération pousse l’administration à accorder une autonomie nouvelle aux partis africains : c’est tout l’enjeu de la loi-cadre Defferre de 1956. Si cette nouvelle élite est plutôt francophile et encline au compromis, ce n’est pas le cas d’une jeune génération qui se radicalise, notamment au contact des milieux syndicaux, et ne tarde pas à promouvoir des idéaux d’indépendance et de révolution.

Quelle autonomie politique accorder à ces colonies d’Afrique subsaharienne, où les jeunes élites sont de plus en plus vindicatives ? La question créé des divisions au sein de l’administration coloniale elle-même : “il y a des tensions entre des administrateurs extrêmement conservateurs, racistes, et une frange moderniste qui croit réellement à l’évolution possible de l’Empire vers une forme d’intégration globale des colonies à la nation et à un rattrapage économique, social, culturel, des espaces d’Afrique subsaharienne”, souligne Nicolas Bancel.

Comment retracer l’histoire des liens, complexes mais jamais inexistants, entre l’administration coloniale française et les élites d’Afrique subsaharienne ? Une fois indépendants, comment ces États africains portent-ils l’héritage de ces décennies de relations ambiguës avec les autorités coloniales ?

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/administration-coloniale-francaise-elites-locales-liaisons-dangereuses-en-afrique-7279603?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2023-08-28&at_position=8

Pour aller plus loin :

  • Nicolas Bancel, Décolonisations ? Élite, jeunesse et pouvoir en Afrique occidentale française (1945-1960), Éditions de la Sorbonne, 2022
  • Carole Reynaud-Paligot, La République raciale. 1860-1940, Quadrige, 2021
  • Carole Reynaud-Paligot, L’École aux colonies : entre mission civilisatrice et racialisation : 1816-1940, Champ Vallon, 2021
  • Nicolas Bancel, Le Postcolonialisme, Presses universitaires de France, 2019
  • Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Pascal Blanchard, Christelle Taraud, Dominic Thomas, Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVe siècle à nos jours, La Découverte, 2018

Références sonores :

  • Archive INA, Journal du 28 juillet 1955, “Présence colorée, les notables d’outre-mer à Matignon”
  • Extrait du film La victoire en chantant, réalisé par Jean-Jacques Annaud, 1976
  • Extrait du film Coup de torchon réalisé par Bertrand Tavernier, 1981
  • Archive INA, Allocution de Gaston Defferre à Dakar retransmise par la RTF le 1er juillet 1956
  • Archive INA, Discours de Félix Houphouët-Boigny retransmis par l’ORTF le 23 mai 1956

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