Les immigrés représentent-ils la plus grande menace qui pèse sur les pays occidentaux? En fait, le grand public perçoit les immigrés comme menace lorsqu’ils ne bénéficient que de droits restreints. Ce sentiment s’atténue lorsqu’ils jouissent de droits égaux à ceux des autres citoyens. Par Judith Kende et co-autrices

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Moisson chez les Casagrande à Saubens (Haute-Garonne), fin des années 50. © EDITALIE extrait d’un article de 2017 sur intégration réussie des italiens dans le Sud-ouest

Des voleurs, des trafiquants de drogue, des assassins, des violeurs – à écouter des personnalités politiques comme Eric Zemmour ou Donald Trump, on pourrait être tenté de penser que les immigrés représentent la menace la plus grave pesant sur le monde d’aujourd’hui. Outre les politiciens opposés à l’immigration, certains citoyens dits « natifs », c’est-à-dire nés dans le pays de résidence, voient d’un œil défavorable l’arrivée de personnes étrangères dans leur pays et traitent les immigrés avec hostilité. D’autres, cependant, leur réservent un bon accueil. Comment réduire les préjugés et établir des relations plus harmonieuses? L’égalité de droits entre natifs et immigrés est une condition essentielle au vivre ensemble, comme le montrent nos recherches.

Une diversité inégale

Depuis que les questions de migration et de xénophobie sont au cœur des débats publics et des controverses politiques, des centaines d’études ont examiné la relation entre présence étrangère et préjugés. Tout comme certains politiciens, de nombreux spécialistes en sciences sociales et politiques ont prétendu qu’un nombre croissant d’immigrés provoque inévitablement des préjugés au sein de la population locale. Les résultats des recherches sur le sujet sont toutefois mitigés. Certaines études constatent en effet une association entre présence étrangère et préjugés, alors que d’autres observent la relation inverse ou ne mettent aucune association particulière en exergue.

L’aspiration à des relations harmonieuses entre immigrés et natifs n’est-elle donc pas vaine? Une éventualité, proposée par deux sociologues, Alejandro Portes et Erik Vickstrom, est que “ce n’est pas la diversité en soi mais le fait que celle-ci soit accompagnée d’inégalités qui fait la différence “. En d’autres termes, lorsque la diversité est plus égal et les immigrés jouissent de droits et d’opportunités égaux à ceux des citoyens dits « natifs », un nombre croissant d’arrivants dans le pays d’accueil ne se traduirait pas forcément en préjugés accrus. Évidemment, ces droits et opportunités dépendent des politiques mises en place par les autorités à l’égard des populations immigrées. Lorsque les politiques socio-économiques sont plus égalitaires, les immigrés ont un accès égal à la formation, aux soins de santé, au logement ou au marché du travail. Parallèlement, les politiques égalitaires dans le domaine juridico-politique protègent les immigrés de la discrimination et leur accordent davantage de droits à la participation politique, par exemple en élargissant le droit de vote ou en facilitant l’acquisition de la citoyenneté.

Des politiques qui changent la donne

Pour en avoir le cœur net, nous avons mené toute une série d’analyses pour estimer le lien entre présence étrangère et préjugés dans un large éventail de contextes sociopolitiques, et évaluer l’effet des politiques d’intégration à différents niveaux de gouvernance. Ces analyses approfondies couvrent au total 66 pays et incluent les réponses d’environ 140 000 répondants. Les dispositions en matière d’immigration étant décidées à différents niveaux, nous avons également étudié l’effet des politiques régionales dans 20 cantons suisses et 64 écoles flamandes à l’aide d’enquêtes auprès d’environ 2.400 répondants dans les deux cas.

Nos résultats montrent que dans des contextes caractérisés par des politiques plus égalitaires, des attitudes plus favorables à l’égard des immigrés sont observées dans les contextes de forte immigration, et ce à tous les niveaux de gouvernance et dans un large éventail de contextes sociopolitiques. Les citoyens dits « natifs » résidant dans des pays et régions à forte immigration expriment des attitudes plus défavorables uniquement quand les immigrés ne bénéficient pas de droits aussi étendus que les natifs. Inversement, une forte présence étrangère est associée à des niveaux bas de préjugés lorsque les immigrés bénéficient de droits égaux. Par exemple, en Argentine, en Nouvelle-Zélande, au Portugal ou en Suède, les natifs expriment de faibles niveaux de préjugés en raison des politiques égalitaires, bien que de nombreux immigrés vivent dans tous ces pays. La Belgique se situe dans la moyenne des pays étudiés, tout autant en termes de politiques égalitaires que du niveau de préjugés.

Pourquoi les lois et politiques égalitaires font-elles une différence ?

Pourquoi les natifs auraient-ils des attitudes plus favorables à l’égard des immigrés lorsque ceux-ci sont plus nombreux dans le pays et que les politiques égalitaires leur donnent accès à davantage de droits et de prestations ?

Des recherches antérieures montrent que les immigrés accèdent à des diplômes, des professions et des revenus plus égaux lorsqu’ils bénéficient de l’égalité des droits et de l’accès aux services publics. Par conséquent, grâce à des législations et des politiques plus égalitaires, les immigrés jouissent d’une présence plus importante dans tous les domaines de la vie et occupent des positions plus égales dans le cadre de leurs relations avec les personnes qui ne sont pas d’origine étrangère. Plus précisément, les lois et politiques égalitaires augmentent les chances que des personnes de diverses origines se fréquentent dans les mêmes quartiers, écoles ou lieux de travail. Ainsi, les natifs rencontrent plus souvent les immigrés en tant qu’égaux, par exemple en tant que voisins, camarades de classe ou collègues. En outre, même en l’absence de rencontres personnelles, ils verront plus souvent les immigrés représentés en tant que membres actifs et égaux de la société dans les médias et les discours publics. Des images – visibles – d’immigrés occupant des rôles valorisés professionnellement (ou dans d’autres domaines) remettent fortement en question les stéréotypes négatifs selon lesquels les immigrés sont moins capables ou moins méritants que les natifs. Ainsi, plus de soixante-dix ans de recherches en sciences humaines ont établi que les niveaux de préjugés sont plus bas lorsque natifs et immigrés sont sur un pied d’égalité.

Un appel à des législations et politiques égalitaires

Dans l’ensemble, les résultats des analyses poussées que nous avons menées nous ont permis d’identifier la condition essentielle à des relations harmonieuses dans des contextes de forte immigration : des politiques d’intégration égalitaires, d’un point de vue juridique et socio-économique, qui rendent les immigrés davantage égaux en droits. En outre, nos résultats ont également montré que les législations et politiques égalitaires font une différence même lorsque d’autres facteurs sociopolitiques qui pourraient induire une hostilité envers les immigrés, tels qu’un fort taux de chômage, un faible produit intérieur brut (PIB), une inégalité des revenus ou la présence de discours anti-immigrés, sont pris en compte. Limiter les droits des immigrés peut sembler attrayant pour apaiser les sentiments de menace exprimés par une partie de la population des pays d’accueil ou pour limiter l’attrait électoral des partis d’extrême-droite. Pourtant, nos résultats montrent que les politiques inégalitaires nuisent aux relations entre immigrés et natifs en alimentant les préjugés de ces derniers. À l’inverse, l’élaboration de législations et de politiques égalitaires induit un cycle vertueux, de telle sorte que des relations intergroupes plus égales permettent l’expression d’attitudes plus favorables envers la présence étrangère. Ceci est d’autant plus important que des niveaux faibles de préjugés sont généralement associés avec une fréquence plus basse de comportements discriminatoires à l’égard des immigrés, un obstacle identifié à l’égalité des chances.

Les statistiques montrent clairement que les immigrés ne sont ni des violeurs, ni des assassins, ni des voleurs. Lorsqu’ils bénéficient de l’égalité des droits, la majorité des natifs du pays d’accueil voit et traite les immigrés comme des partenaires égaux et non comme une menace, quoi qu’en disent Zemmour ou Trump.

Judit Kende, chercheuse en psychologie sociale à l’université de Lausanne et à l’université libre de Bruxelles, Karen Phalet, professeure de psychologie sociale à la KU Leuven, Oriane Sarrasin, maîtresse de recherche et d’enseignement en psychologie sociale à l’université de Lausanne, Eva G.T. Green, professeure de psychologie sociale à l’université de Lausanne, Anita Manatschal, professeure assistante en politiques migratoires à l’université de Neuchâtel, pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Cette recherche a été menée dans le cadre du FNS Suisse nccr – on the move.

Références:

Green, E. G. T., & Staerklé, C. (2013). Migration and Multiculturalism. In L. Huddy, D. O. Sears, & J. S. Levy (Eds.), Oxford Handbook of Political Psychology (pp. 852–889). Oxford University Press.

Kende, Judit, Oriane Sarrasin, Anita Manatschal, Karen Phalet, Eva G. T. Green (sous presse) Policies and prejudice: integration policies moderate the link between immigrant presence and anti-immigrant prejudice, Journal of Personality and Social Psychology. https://doi.org/10.1037/pspi0000376

Portes, A., & Vickstrom, E. (2011). Diversity, Social Capital, and Cohesion. Annual Review of Sociology, 37(1), 461–479. https://doi.org/10.1146/annurev-soc-081309-150022

van der Meer, T., & Tolsma, J. (2014). Ethnic Diversity and Its Effects on Social Cohesion. Annual Review of Sociology, 40(1), 459–478. https://doi.org/10.1146/annurev-soc-071913-043309

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