Deux ronds-points avant d’arriver au centre de Saint-Jean-d’Illac en venant de Bordeaux, sur la droite, les allées des Dunes mènent vers la résidence Les Villages d’Or et le Campus d’Illac. De l’autre côté de la route, faisant face à ces récentes construction, se déploie le bois communale qui entoure la Jalle. Le cadre est bucolique et les habitants de ce nouveau quartier profitent d’un environnement verdoyant à quelques mètres de la très passante avenue de Bordeaux.

Une autre voie, perpendiculaire aux allées des Dunes, s’enfonce dans le bois. Les riverains l’empruntent pour une balade ou pour un footing. Quelques mètres plus loin, un drap est suspendu entre deux arbres où on peut lire :

« Nous sommes une famille d’Ukraine. Nous remercions les habitants de Saint-Jean-d’Illac pour leur aide, ainsi que la police ! Combien nos enfants vont-ils souffrir ? »

Le temps de déchiffrer les lettres écrites à la peinture rouge, sortent du bois Mark et Oksana Polintsova, avec, passant d’un bras à l’autre, Olivier, 1 an, suivis d’Oskar, 8 ans, et German, 11 ans. Leurs enfants.

Allées des Dunes, la famille Polintsova affiche sa situation (WS/Rue89 Bordeaux)

Entre caravane et tente

Un chien aboie à tue-tête au bout de sa laisse. « Ne vous inquiétez pas, c’est pour la sécurité », lâche la mère de famille avec un français approximatif (toutes les citations ont été réécrites pour une meilleure compréhension du texte). Aussi petit que ses aboiements sont forts, l’animal monte la garde à côté de trois tentes où la famille Polintsova vient de passer la nuit.

« Nous sommes ici depuis le 10 juillet, explique Mark. On a dû quitter un appartement qu’une dame avait provisoirement mis à notre disposition. »

Ce jour du premier anniversaire d’Oliver, Mark et sa famille se retrouvent sans toit. Il se procure trois tentes chez Décathlon et les plantent à quelques dizaines de mètres de là, sous les arbres. Une pour Oksana et le petit, une pour les deux garçons, et une pour lui.

Comment une famille de réfugiés ukrainiens avec trois enfants mineurs en est arrivée là ?

« Nous avons cherché des solutions depuis notre arrivée en 2020, explique Serge Brettes, adjoint aux solidarités. Nous avons proposé des logements où la famille devait payer une partie du loyer, comme une transition pour un accès au bail. Mais les défauts de paiement se sont accumulés et la famille est retournée à la rue. »

Une association s’est alors constituée, avec le soutien de l’élu, pour leur venir en aide et a recueilli de quoi permettre l’achat d’une caravane.

Oksana déballe son dossier administratif a même le sol (WS/Rue89 Bordeaux)

« Séparatistes »

Stationnée allées des Dunes, la caravane sert aujourd’hui à garder les affaires et contient un empilement d’habits.

« Il n’y a pas la place pour nous tous et il y fait très chaud. Le petit se réveille souvent la nuit et empêche les autres de dormir », raconte Oksana.

La mère de famille se presse d’extraire quelques dossiers des cartons. Disposés à même le bitume, des attestations et des courriers permettent d’apprendre que la famille a quitté la ville ukrainienne où elle vivait, Donetsk, en 2014. C’est le début de la guerre du Donbass qui a opposé le gouvernement ukrainien à des séparatistes pro-russes et à la Russie. Mark travaillait dans une banque, Oksana dans une pharmacie, avec une formation d’économiste.

« Nous sommes partis sous les bombes avec German qui avait deux ans, les autres n’étaient pas nés, raconte Mark. Nous avons à peine eu le temps de prendre quelques papiers d’identité et des affaires, et nous sommes allés en Pologne. »

Faisant partie de la vague d’immigration ukrainienne après le début du conflit au Donbass, Mark et Oksana, tous les deux russophones, comme une grande partie des habitants de cette région, suscitent des soupçons.

« On nous a dit d’aller en Russie, que la Pologne ne pouvait pas accueillir tout le monde, poursuit Mark. Ils n’ont pas voulu nous donner des papiers. On nous a pris pour des ukrainiens séparatistes pro-russes. »

La famille poursuit son exode jusqu’en Allemagne où ses trois membres sont enregistrés, en 2015, comme demandeurs d’asile. Oskar vient au monde la même année à Forchheim, dans les environs de Nuremberg. Déboutée de sa demande, la famille de quatre personnes désormais vit sans papiers malgré l’obligation de quitter le territoire. Chassée par la police, elle prend un train pour la France et arrive à Bordeaux en 2017. A la Préfecture de la Gironde, ils sont enregistrés en 2021.

Les cinq membres de la famille Polintsova vivent dans des tentes à Saint-Jean-d’Illac (WS/Rue89 Bordeaux)

Enfants sans papiers

A Bordeaux, Mark et Oksana obtiennent une carte de séjour. Aucun statut officiel n’est accordé aux enfants qui sont tout de même scolarisés. La famille passe d’un logement provisoire à un autre, hébergement d’urgence et squat. En 2022, le couple a un troisième enfant, Olivier.

C’est l’année où Mark et Oksana Polintsova veulent régulariser la situation des enfants. Le dossier est confié à maître Thibault Saint-Martin. Dans un courrier envoyé au consulat d’Ukraine, l’avocat demande un certificat consulaire pour leur permettre de répondre aux conditions du Ministère de l’intérieur français et obtenir un document de circulation sur le territoire. Il expose :

« Lorsqu’ils ont quitté l’Ukraine, leur fils aîné German n’avait pas encore de carte d’identité, seulement un acte de naissance. Leur deuxième fils Oskar, né en Allemagne, ne pouvait prétendre à la nationalité allemande […] Enfin, le dernier fils Olivier né en France n’est pas éligible à la nationalité Française. »

Toujours pas de réponse. Parallèlement, une démarche pour obtenir un logement est faite via le CCAS de Saint-Jean-d’Illac auprès de la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités. Un courrier du 4 mai 2023 leur accorde un droit au logement opposable : « M. Polintsova est reconnu prioritaire et devant être accueilli dans un logement de transition ou dans un logement foyer ».

Oskar et German, tous les deux scolarisés à Saint-Jean-d’Illac (WS/Rue89 Bordeaux)

Une issue fin août ?

Le courrier au bout des doigts, la mère de famille ne cache pas son impatience. Son regard fatigué dit toute son incompréhension de la situation. « On nous retire des produits des aides alimentaires du CCAS parce qu’on n’a pas de frigo pour les conserver », ajoute-t-elle.

Contactée, la Préfecture de la Gironde annonce par mail que la famille Polintsov « a une reconnaissance de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), en date du 26 mai 2023, qui lui accorde le bénéfice de la protection subsidiaire pour les quatre prochaines années » et « un titre de séjour doit lui être octroyé en ce sens ».

Quand au logement, « le dossier de cette famille est suivi par la MDS (Maison du département des solidarités) du territoire et devrait être examiné fin août par le CCAS de Mérignac ».

« Il faut encore attendre » s’exclame Mark Polintsov. De la poche de son pantalon, il sort son téléphone et fait défiler une vidéo. On y voit son fils porter une barre et des disques de poids.

« Je l’entraine à l’haltérophilie et regardez comment il est doué. C’est un champion qui est prêt pour porter les couleurs de la France. »

L’AUTEUR

Walid Salem

Walid Salem
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