Cheffe de tribu indigène, Watatakalu Yawalapiti est l’une des figures politiques montantes du Brésil. ©Radio France - Romane Brisard

Watatakalu Yawalapiti : le nouveau visage de la lutte indigène est une femme

Vendredi 9 juin 2023

Cheffe de tribu indigène, Watatakalu Yawalapiti est l’une des figures politiques montantes du Brésil. ©Radio France – Romane Brisard

C’est la première femme à entrer dans le cercle très masculin des représentants d’Amazonie à l’étranger. Après une vie à militer pour la terre et les femmes, Watatakalu Yawalapiti est même déjà pressentie pour succéder au cacique Raoni, leader emblématique des peuples indigènes de plus de 90 ans.

C’est devenu une tradition. Chaque année au festival de Cannes, le cacique Raoni, chef indigène emblématique d’Amazonie, monte les marches dans sa tenue traditionnelle. Une apparition éclaire dans le cadre d’une tournée annuelle plus longue, pour engager les pays européens à protéger le poumon vert de la planète et les peuples autochtones.

Jusqu’ici exclusivement accompagné d’hommes lors de ses voyages, en 2023 Raoni a revu sa liste d’invités. Trente ans après ses premières visites militantes en Europe, pour la première fois, une femme s’est tenue à ses côtés sur la photographie officielle de la grande fête du cinéma : Watatakalu, cheffe du peuple Yawalapiti.

Le militantisme dans le sang

Sur le tapis rouge comme à la terrasse de l’hôtel choisie pour son interview, Watatakalu revêt elle aussi toujours le même apparat. Une bande de maquillage rouge autour des yeux, quelques plumes à ses oreilles et une multitude de bijoux de perles sur la peau. Un imposant collier bleu, notamment, fabriqué plus petite avec sa mère.

À 41 ans, l’autochtone transpire ses racines, ses ancêtres. Enfant du peuple Yawalapiti, Watatakalu en est devenue la cheffe. Son quotidien : protéger son village situé dans le Haut Xingu, région centrale d’Amazonie, des incendies et des exploitations forestières, agricoles ou encore minières illégales. Un ADN de leadeuse inspiré de son père, ancien membre de la Fondation indienne nationale (FUNAI).

“Petite, il m’a toujours motivée à être présente lors des manifestations et des événements politiques indigènes. En tant que fille de chef, j’ai été éduquée à prendre la parole, l’espace”, se souvient Watatakalu. “Quand il allait au village, il me ramenait souvent des vêtements ou des accessoires masculins. Je m’en plaignais, et il me rétorquait : ‘ma fille, un jour vous devrez vous comporter comme un homme, parler comme un homme’“.

Si son père lui offre une solide éducation politique, la famille de Watatakalu est aussi celle qui la ramène à sa condition de femme indigène. Les grandes aspirations de la petite fille meurent le jour de ses premières règles. Elle entre en période de réclusion obligatoire avant d’être mariée de force à 15 ans. “J’ai beaucoup de souvenirs très douloureux”, raconte celle qui est aujourd’hui mère de trois enfants. Comme cette fois où les femmes de ma famille et de celles de mon époux m’ont encerclée pour m’apprendre comment me comporter pendant ma nuit de noces. J’étais vierge”, témoigne Watatakalu avec pudeur.

Les journées sont plus terrifiantes les unes que les autres pour la jeune mariée. “J’étais surveillée à plein temps, même quand j’allais me doucher dans le fleuve” , explique-t-elle. Les nuits, aussi. Profondément féministe, Watatakalu refuse d’avoir des relations sexuelles avec cet homme qu’elle n’a pas choisi. Après plusieurs années sans parvenir à la toucher, son époux la rend finalement aux siens.

“La seule chose qui comptait, c’était l’image et la réputation de nos familles. Personne n’a songé à ce que je ressentais, à mon corps, à mes désirs. J’ai dû me libérer seule. Je m’en suis sortie seule”, se remémore Watatakalu. Les plaies encore brûlantes, la jeune indigène se lance alors dans un militantisme acharné, tant écologiste que féministe.

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Le Reportage de la Rédaction

4 min

Des femmes indigènes au pouvoir

Les ambitions de la jeune cheffe dépassent les frontières de son village. Au fil des ans, les réunions locales qu’elle préside laissent place à l’organisation de grandes manifestations environnementales brésiliennes, puis à des apparitions d’envergure internationale. En couverture de Vogue comme au pupitre de la COP27, Watatakalu prône la cause indigène, et plus spécialement celle des femmes, “gardiennes de la forêt”.

“Nous sommes toujours en première ligne”, prêche l’activiste. Outre le sexisme des communautés, “nous devons aussi faire face aux violences des acteurs de la déforestation, de la pêche intensive ou de l’orpaillage : le vol de nos ressources, le viol de nos enfants, la prostitution de nos filles” , liste-t-elle douloureusement.

Récemment, l’influence de la brune aux cheveux extensibles s’est encore davantage concrétisée. Grâce à son action associative, et plus largement celle de l’Articulation nationale des femmes indigènes guerrières d’ascendance (ANMIGA) qu’elle a fondée, Watatakalu a aidé à hisser deux femmes indigènes dans les arcanes du pouvoir : Sonia Guajajara d’une part, ministre du tout jeune ministère brésilien des peuples indigènes, né sous Lula au début de l’année 2023, et Joenia Wapichana de l’autre, présidente de la Fondation nationale des peuples indigènes (FUNAI), comme une revanche aux militants pro-Bolsonaro s’étant invités aux funérailles de sa mère.

“Je ne me laisserai pas faire”

En 2021, Watatakalu perd sa mère des suites du Covid-19. “À cause de Bolsonaro”, soutient l’activiste car “l’État a décrété que les indigènes vivant dans des villages ne pouvaient pas bénéficier des vaccins” . L’enterrement est organisé un an après le décès, comme le veut le rituel indigène du Kuarup. Mais alors que les peuples de la région du Haut Xingu se rassemblent, deux sympathisants pro-Bolsonaro brisent le recueillement.

“La tradition veut que le cercueil soit positionné au milieu d’un cercle impénétrable”, explique Watatakalu. Les bolsonaristes s’y immiscent quand même et brandissent une affiche du président d’extrême droite, alors en pleine campagne pour sa réélection. “Ils ne se fatiguent jamais de nous poursuivre, et ne sont pas près d’arrêter de nous menacer”, témoigne l’activiste.

“Lula a trop d’opposants au Parlement et de travail sur la table : il va lui falloir au moins deux ans pour remettre la maison en ordre”, poursuit Watatakalu. Encore en mai dernier, le Parlement brésilien approuvait un projet de loi visant à limiter la reconnaissance de nouvelles réserves indigène. Et quand bien même le combat devait durer plus longtemps. Watatakalu persistera. “Je ne suis pas fatiguée. Je suis là, en bonne forme. Et je ne me laisserai pas faire”, lâche-t-elle en guise de conclusion, le regard à la fois doux et déterminé. Comme une réponse tardive, discrète et bienveillante aux paroles de son père, des années plus tôt : “Tu aurais pu faire de si grandes choses, ma fille, si tu avais été un homme”.

Watatakalu Yawalapiti avec le chef Raoni, à Paris, le vendredi 9 juin 2023.
Watatakalu Yawalapiti avec le chef Raoni, à Paris, le vendredi 9 juin 2023. © Radio France – Romane Brisard

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