Par DW.comPublié le : 04/08/2023

Dans l’ouest de l’Allemagne, des villages entiers ont été vidés de leurs habitants pour laisser place à l’exploitation minière. Ces habitations devaient être détruites. Mais la décision du gouvernement allemand d’abandonner progressivement le charbon a finalement condamné ses villes à l’abandon. Aujourd’hui, elles sont réinvesties par des réfugiés ukrainiens fuyant la guerre dans leur pays.

Lorsque l’on regarde la carte de la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie sur l’application Google Maps, trois grandes taches pâles sautent aux yeux. Elles représentent trois gigantesques mines à ciel ouvert – Inden, Hambach et Garzweiler – où l’entreprise énergétique RWE extrait du lignite.

C’est là que se trouvent également des villes et des villages abandonnés depuis des mois, voire des années. Ces “villes fantômes” devaient à l’origine être démolies pour faire place à de nouvelles exploitations minières, mais la décision du gouvernement allemand d’abandonner progressivement le charbon rend leur avenir incertain.

Aux abords de la mine à ciel ouvert de Hambach, qui a ouvert en 1978 et devrait fermer d’ici 2030, trônent les villages Morschenich et Manheim, censés être démolis pour l’extension de l’exploitation.

RWE extrait du lignite dans la mine de Hambach | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW
RWE extrait du lignite dans la mine de Hambach | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW

À Manheim s’enfilent des rangées de maisons aux stores baissés et aux fenêtres condamnées. L’asphalte de la route est déchiré et les lampadaires sont brisés. Au centre du village se dresse une église dont les fenêtres ont également été condamnées. Certaines maisons encore en bon état sont protégées par des barbelés. Un panneau indique qui en est le propriétaire : l’entreprise RWE.

Ici, on ne rencontre pas grand monde. La même ambiance de fin du monde règne dans la localité voisine de Morschenich. 

Habitants d’Ukraine et de Syrie

Mais en y regardant de plus près, des feuilles blanches sont collées sur les portes de certaines maisons. On peut y lire des noms ukrainiens ou arabes.

Ce sont les nouveaux habitants de la ville, à l’image de Denis et Julie, un couple d’Ukrainiens (leurs noms ont été modifiés pour protéger leur identité).

Ils vivent à Morschenich depuis décembre 2022. La maison, autrefois individuelle, abrite aujourd’hui plusieurs personnes – dont une famille du Donbas et des réfugiés de Syrie. Le lieu est devenu une sorte de centre d’accueil pour réfugiés.

“Nous ne nous plaignons pas du tout. Nous avons de l’électricité, de l’eau, du chauffage, et même le Wi-Fi”, explique Denis. “Nous pouvons appeler chez nous en Ukraine. Des personnes travaillant pour les autorités locales viennent chaque semaine pour nous aider à remplir les formalités administratives. Nous recevons régulièrement des aides sociales. La seule chose que nous n’avons pas encore reçue sont des cours de langue.”

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Le fait que la ville manque de magasins, de pharmacies et de médecins ne semble pas déranger le couple. Julia explique se rendre en voiture dans le village voisin pour faire ses courses.

Les herbes s'empare de l'église à Morschenich | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW
Les herbes s’empare de l’église à Morschenich | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW

“On avait peu d’informations lorsque nous sommes arrivés ici. Plus tard, quelqu’un nous a expliqué dans quel genre d’endroit nous nous trouvions. Mais chez nous, en Ukraine, nous avons vécu sous le feu des armes pendant trois mois. Ici, c’est paisible”, confie le couple.

Il pointe du doigt la forêt au bout d’un champ. “Des activistes pour le climat s’y sont installés”, raconte Denis. “Ils ont construit des maisons dans les arbres. Parfois, nous les voyons, mais ils ne nous dérangent pas. La police vient régulièrement vérifier que tout va bien”, ajoute-t-il.

Plusieurs familles ukrainiennes vivent actuellement à Morschenich. “À première vue, on s’ennuie ici, mais nous allons cueillir des baies”, dit Julia. “Parfois, on se rend en ville, mais il y a tellement de bruit que nous sommes heureux de revenir ensuite à la campagne”, ajoute Denis.

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Le couple ne sait pas pour combien de temps il restera ici. “Apparemment, ils ne démoliront pas ce village. Nous étions d’abord dans un camp de réfugiés à Bochum [une grande ville voisine]. Puis la municipalité nous a envoyés ici, alors nous resterons jusqu’à ce qu’ils nous relogent ailleurs”, assure Julia.

Aux derniers nouvelles, Morschenich ne devrait plus être démoli. L’Allemagne s’est engagée à supprimer totalement les centrales électriques au charbon d’ici à 2038, dans l’objectif de réduire ses émissions de carbone.

L’arrêt de bus de Morschenich est toujours desservi | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW
L’arrêt de bus de Morschenich est toujours desservi | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW

RWE a confirmé le projet au média international allemand DW. “Les lieux mentionnés ne sont plus destinés à être rasés”, affirme un porte-parole. “Nous avons mis les maisons et les appartements que nous avions précédemment achetés à des familles en cours de relogement, à la disposition de personnes ayant un besoin urgent d’un toit, à la demande des autorités locales.”

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Non loin de là, à proximité d’une autre mine à ciel ouvert appelée Garzweiler II, se trouvent les villages de Kuckum et Keyenberg. Leurs habitants ont été expulsés et relogés. Bientôt, ces deux villes devraient disparaître.

Juste à côté se trouve Lützerath, un village devenu célèbre au début de l’année en raison d’une vague de protestations, soutenue en personne par la jeune activiste suédoise Greta Thunberg. Ce village devrait lui aussi être rasé cette année. Toutes les routes qui y mènent sont fermées.

En revanche, Keyenberg reste accessible en voiture. Près de l’église se trouve l’ancienne école, qui semble à nouveau occupée. Plusieurs personnes se trouvent dans la cour. “Nous vivons ici. Nous venons de Syrie”, dit un homme, avant de disparaître rapidement. Mais personne n’est disposé à parler ce jour là.

Une aire de jeu à Keyenberg | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW
Une aire de jeu à Keyenberg | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW

À proximité de l’école, un arrêt de bus avec des horaires. Keyenberg est encore desservi par les transports publics. Sur la porte d’une boulangerie, en face de l’église, sont affichées les horaires d’ouverture. Elle n’est ouverte que certains jours de la semaine pour quelques heures. Il n’y a plus de véritables magasins ou de pharmacie ici. Presque toutes les boutiques sont vides. Mais la présence de plusieurs voitures garées laisse penser que certaines maisons sont habitées.

“Il y a encore des habitants à Keyenberg, mais environ 80 % d’entre eux ont déménagé après avoir été indemnisés. Environ 15 à 20 % sont encore là”, affirme Irina Becker, conseillère municipale dans la ville voisine de Bochum.

“Des réfugiés vivent également ici”, précise-t-elle. “L’ancienne école a été aménagée pour eux. Plusieurs maisons servent également de logement. Certaines sont utilisées individuellement, d’autres sous forme de colocation. Il y a de l’électricité, de l’eau et du chauffage. Des cours de langue et d’intégration ont été organisés pour les réfugiés qui vivent ici et les enfants vont à l’école maternelle.”

Il n’y a plus d’activité à Keyenberg, vidée de 80 % de ses habitants | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW
Il n’y a plus d’activité à Keyenberg, vidée de 80 % de ses habitants | Photo : Daniela Natalie Posdnjakov/DW

Une famille ukrainienne habite également à Keyenberg. Ils expliquent qu’ils vivaient “en Pologne depuis longtemps”. Sur les réseaux sociaux, ils ont appris qu’il était possible de se rendre à Bochum pour être relogé dans une grande ville comme Düsseldorf ou Cologne. Mais les autorités les ont envoyés dans la petite ville d’Erkelenz, puis à Keyenberg.

Pour l’instant, ils sont seuls dans une maison, mais une autre famille ukrainienne devrait bientôt les rejoindre. “Mieux vaut être ici que d’être allongé sur un lit de camp dans un gymnase quelque part”, disent-ils.

La famille ne compte pas retourner en Ukraine tant qu’il y aura la guerre. “Keyenberg ne sera pas démoli. Peut-être que nous resterons ici, si on nous le permet.”

Les réfugiés sont automatiquement répartis entre les 16 régions (Länder) et les milliers de municipalités d’Allemagne en fonction de quotas. Les logements sont attribués en fonction des besoins.

Auteure : Natalia Pozdnyakova

Source : dw.com

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