L’essentiel du numéro 8 est consacré à la communauté des Harkis du Lot-et-Garonne. Outre l’éditorial de Jean-François Mézergues, (lire ci-dessous) le début de l’investigation porte sur deux angles de traitement. Les témoignages du docteur Patrick Jammes et celui de l’avocat Philippe Reulet.

Harkis pour des beurs

Jean-François Mézergues

Les survivants de la première génération sont – théoriquement- nés Français, dans les départements français de l’Algérie Française. Au moment des événements tragiques que les responsables et stratèges métropolitains s’efforcèrent de dédramatiser sous les euphémismes, “rétablissement de l’ordre” puis “pacification”, avant de reconnaître la guerre d’Algérie, ils optèrent pour l’uniforme de la mère-patrie. Et formèrent les unités de supplétifs. Inutile de s’appesantir, vous avez compris que dès leur engagement ils furent marginalisés, réduits à un statut bâtard, à la remorque des troupes régulières.


1962, printemps et été de l’indépendance algérienne, mornes saisons pour les supplétifs et leurs familles. Décider de rester sur le sol natal, terre nourricière de rêves piétinés, était suicidaire. Différer le départ exposait à un arrêt de mort, une exécution sans sommations ni jugement. Pas d’autre issue pour eux que le paquetage du dernier sursis avec le fol espoir de s’entasser à l’arrière des camions de l’armée où ils étaient accueillis à contrecoeur quand ils n’étaient pas refoulés à coups de godillots.
Sur les quais d’Alger ou d’Oran, les plus chanceux embarquèrent dans les cales de navires en partance pour la France. Traversée sans retour vers l’exil certes, mais le coeur toujours bien français.


L’accostage fut brutal, douloureux, un véritable arrache-coeur pour les âmes sensibles. Parqués dans les camps sinistres logés dans des baraquements ceints de clôtures grillagées à l’écart des bourgs de Saint Maurice l’Ardoise et de Bias ils s’aperçurent très vite, comparés aux pieds-noirs, que pas plus qu’ils n’avaient été français et soldats, ils n’étaient des rapatriés à part entière. Quarante deux ans après, l’exil est toujours leur royaume. Ils n’étaient déjà pas bavards. Ils se sont repliés derrière l’épais rempart d’un silence résigné dont personne ne saura sans doute jamais s’il étouffe des griefs inextensibles, des fringales inassouvies de revanche, ou s’il exprime la quintessence de ce fatalisme oriental dont les frontières restent à définir que l'”occident cartésien” accorde volontiers à tout ce qui échappe à son contrôle pour mieux affirmer sa position dominante et masquer ses ignorances.


Arrivés contingentés et définitivement épinglés sous dénominateur commune de harkis, ils mourront harkis sans avoir, pour la plupart, révélé leur blessure ou leur révolte. Leurs enfants en revanche ont pris la parole. Avec la violence maladroite de ceux qui n’admettent pas le sort réservé au sacrifice spontané des pères, encore moins la résignation des pères. Ils ont vu de la lâcheté et parfois l’aveu d’une trahison dans le mutisme pathétique de ceux-ci. Le non-dit a attisé leur colère. Ils l’ont hurlée à la face des “gens d’ici”. Ces derniers ont tôt fait de prendre le parti de la défiance, du repli entre héritiers légitimes de même terroir de même culture quand l’ouverture et le dialogue auraient tendu des passerelles. Aux fils de harkis, la quarantaine sans horizons ni portes d’évasion, fut intolérable.
Leurs descendants de la deuxième génération ne sont pas mieux lotis. Beurs amalgamés aux enfants des travailleurs immigrés, saisonniers ou résidents, Marocains, Tunisiens et Algériens, ils se confondent sous l’adjectif uniforme et péjoratif de “gris”. Les difficultés économiques et sociales d’une région touchée de plein fouet par la crise sont peu propices aux bras grands ouverts, à la curiosité de l’autres et à l’acceptation de la différence. Le soupçon longtemps larvé et non formulé de “délit de faciès” claironné et montré du doigt depuis que le front national est traité comme un un parti politique ordinaire et que ses thèses discriminatoires diffusées sur les chaînes de télévision, ratissent large sur le champ des peurs indicibles autant qu’inavouables, a aggravé le malaise. Le mal-être creuse le fossé. Il avive les rancoeurs et exacerbe un sentiment d’injustice qui est le détonateur des réactions individuelles et collectives souvent injustifiables.
Plus le temps passe, moins les portes de l’avenir s’ouvrent aux exclus des promesses d’une croissance qui tarde. Plus les communautés tirent les verrous, chacune dans son coin, son ghetto, moins se dessinent des lendemains apaisés ou tous s’assoiront autour de la même table pour rompre le pain de la réconciliation.


Des harkis de la fin du siècle dernier aux beurs de l’aube du troisième millénaire, trois générations sacrifiés ou en sursis, en passe d’être condamnées à arpenter une marge de plus en plus précaire. N’est ce pas assez ? Il est grand temps de tendre la main pour que cesse la malédiction

Patrick Jammes le médecin du « bout du bout »

Pendant trente ans le docteur Patrick Jammes a été le médecin des Harkis au camp de Bias.(Lot-et-Garonne)
De tous les camps de France, “Bias c’est le bout du bout” témoigne celui dont la carrière auprès des supplétifs de l’Armée Française s’est soldé par un licenciement en guise de remerciements.
“En somme j’ai été traité comme un harki” témoigne ce proche d’une communauté méprisée qui l’avait pris pour un Américain à son arrivée à Bias en 1970

Philippe Reulet : “C’est un génocide”
En regard des dispositions du code pénal, ce qui a été subi par cette communauté est un génocide, affirme Philippe Reulet. L’avocat lot-et-garonnais de la coordination nationale des harkis menace de saisir la cour européenne si la France persiste à ne pas instruire la plainte de crime de génocide déposée en 2002

CHILI

Les printemps de Mariela

Mariela Morant Ledoux enseigne la langue espagnole au lycée Notre Dame de la Compassion à Marmande et au collège de Monbahus. De nationalité Chilienne et Française, elle est la fille de José Morant, l’ancien gouverneur de la septième région du Chili.
Nommé par le gouvernement démocratique de Salvador Allende, José Morant était le plus jeune gouverneur du pays. A la prise du pouvoir par le dictateur Pinochet, José Morant et sa famille ont été contraints à l’exil en Europe. José Morant a vécu dix huit ans à Berlin avant de pouvoir revenir chez lui en compagnie de son épouse et de leurs deux fils. Aujourd’hui, Mariela demeure la seule européenne de la famille. Elle partage sa vie avec un enseignant normand, vit et travaille en Gascogne et se réconcilie progressivement avec le pays natal qui renait progressivement à la démocratie.

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