Depuis qu’il est à l’Élysée, Emmanuel Macron a entrepris d’ébranler tous les contre-pouvoirs existant en France. En réprimant le mouvement des gilets jaunes, les luttes sociales (contre la réforme des retraites notamment) et écologistes (à Saint-Soline et ailleurs), le soutien à la Palestine ou encore la révolte liée à l’assassinat de Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans, à Nanterre, il a rendu le droit de manifester périlleux – et parfois mortel – pour celles et ceux qui osent descendre dans la rue. En multipliant l’emploi de l’article 49.3 de la Constitution (vingt-et-une fois en un an et demi), qui permet de faire adopter une loi sans vote du Parlement, il a ignoré le pouvoir législatif, faisant de celles et ceux qui sont censé·es représenter la volonté populaire de simples caisses d’enregistrement. En maintenant Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur et Eric Dupont-Moretti à la Justice (en dépit de ses déboires judiciaires) et en validant la nomination de préfets tels que Didier Lallement à Paris ou Hugues Moutouh dans les Alpes-Maritimes, il a soutenu leur volonté affichée d’imposer les décisions du pouvoir exécutif sur celles de la justice – Darmanin a clamé publiquement qu’il ne respecterait pas des décisions de justice dans une affaire d’expulsion d’étranger. De fait, aujourd’hui, c’est le principe même de l’État de droit qui est bafoué en France.

Sur cette barque déjà bien chargée s’ajoutent de nombreuses autres atteintes à la démocratie : mépris des corps intermédiaires, personnalisation du pouvoir (notamment en matière de politique étrangère, comme on l’a vu récemment au sujet de la Palestine), soutien inconditionnel aux forces de police de plus en plus imprégnées de l’idéologie raciste de l’extrême droite… Mais aussi attaques répétées contre la presse.

Même si les médias qualifiés de « mainstream » ont tendance à l’oublier, le journalisme est un contre-pouvoir. L’esprit critique est ce qui fait – ce qui devrait faire – son essence. Macron, lui, le sait bien. C’est pourquoi il n’a eu de cesse, en contradiction avec ses déclarations publiques, de saper la capacité des journalistes à enquêter. Depuis qu’il est président, plusieurs journalistes ont été perquisitionnés et gardés à vue, comme récemment Ariane Lavrilleux, et leurs sources ont été traquées. Des lois comme celle sur le secret des affaires, qui vise à freiner l’inflation des lanceurs d’alerte, ont compliqué la tâche de la profession.

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Cette semaine, le site indépendant Disclose a révélé que la France, avec d’autres pays (l’Italie, la Finlande, la Grèce, Chypre, Malte et la Suède), avait entrepris de torpiller la première loi européenne visant à protéger la liberté et l’indépendance des médias (European Media Freedom Act, EMFA), notamment en défendant l’autorisation de surveiller des journalistes au nom de la sécurité nationale (article à lire ici). Disclose a en outre rapporté qu’au cours d’une réunion organisée à Bruxelles le 12 décembre, la France s’était, afin de réclamer des mesures liberticides contre les journalistes, alliée avec le gouvernement autoritaire de Viktor Orban (Hongrie).

Paris juge notamment « problématique » le fait – soutenu par la plupart des gouvernements de l’UE – d’accepter qu’une autorité judiciaire ou une autorité indépendante et impartiale donne son accord avant qu’un·e journaliste puisse être mis·e sous surveillance ou perquisitionné·e (article à lire ici). Face à cette menace grandissante – pour la profession mais aussi pour la démocratie –, Afrique XXI a, comme des dizaines d’autres médias indépendants, des syndicats, des associations, des collectifs et des sociétés de journalistes, signé une pétition intitulée : « Touche pas à mes sources ! »

En voici un extrait :

Tel que proposé par les États membres européens, l’article 4 [de l’EMFA] permet l’utilisation de logiciels espions de type Pegasus en cas d’« impératif prépondérant d’intérêt public, en accord avec la Charte européenne des droits fondamentaux » et pour enquêter sur une longue liste de 32 délits punis de trois à cinq ans de prison, incluant le terrorisme mais aussi les crimes informatiques, la contrefaçon ou encore le sabotage. La France milite actuellement activement pour que la protection des sources soit levée dans de tels cas. Concrètement, les appels, les e-mails et les échanges sécurisés entre les journalistes et leurs sources liées à ces enquêtes pourraient être interceptés – en toute légalité – par les services de renseignement. […] Nous appelons solennellement le président Emmanuel Macron et le gouvernement français à retirer cette dérogation au titre de la « sécurité nationale » incompatible avec les standards européens pour l’exercice du journalisme. Sans protection des sources, pas de journalisme, pas de démocratie. 

Cette pétition est à lire dans son intégralité ici. Afrique XXI encourage toutes celles et tous ceux qui sont inquiets de voir la liberté de la presse ainsi bafouée à la signer et à la faire connaître. Parce que le journalisme joue (encore) un rôle de contre-pouvoir en France, il est vital de permettre à ceux qui le pratiquent d’agir librement.

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