La Revue de presse internationale par Camille Magnard

La Pologne fait face à de nouvelles arrivées de milliers d’exilés qui tentent de forcer sa frontière depuis la Biélorussie, instrumentalisés par le président Loukachenko dans son bras de fer avec l’UE. La Chine de Xi Jinping réécrit son histoire et l’enseigne en BD à ses jeunes.

Hélicoptère polonais tentant de repousser des migrants à la frontière biélorusse, le 08/11/21
Hélicoptère polonais tentant de repousser des migrants à la frontière biélorusse, le 08/11/21• Crédits : Leonid Shcheglov/BeltaAFP

La presse européenne a de nouveau le regard tourné ce matin vers la frontière Est de l’Union.  

Plus précisément sur ces quelques kilomètres de frontière entre la Pologne et la Biélorussie, où se joue un nouvel épisode du bras de fer que le dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko livre à l’Union européenne. 

Depuis août 2020 et sa réélection au forceps pour un quatrième mandat présidentiel, Loukachenko fait l’objet de sanctions renforcées de l’UE, qui ne reconnaît plus officiellement son pouvoir ; et l’arme qu’il a choisie pour faire pression sur Bruxelles, c’est celle de l’immigration. La BBC nous explique par le détail comment il a fait venir en Biélorussie environ 10 000 exilés, du Moyen-Orient, d’Afrique de l’Est ou du Caucase, les a accueillis à bras ouverts en tant que simples touristes… tout en leur faisant miroiter explicitement un passage facile de l’autre côté des frontières de Schengen, vers l’Allemagne qui semble la destination ultime de ces migrants.

German“, soit “Allemagne“, c’est ce que scandaient hier face aux policiers et soldats polonais les centaines de personnes qui ont tenté de forcer les barbelés pour passer côté européen, sous le regard complètement passif des gardes-frontières qui ont même, selon la Wyborcza Gazeta polonaise, tiré en l’air, dans la soirée, pour repousser vers la frontière ces migrants qui tentaient de refluer vers l’intérieur de la Biélorussie, voyant qu’ils n’arriveraient pas à passer en Pologne. 

La même Wyborcza Gazeta ne se fait pas d’illusion : la tension hier n’est pas montée jusqu’à l’affrontement, le sang n’a pas coulé, mais pourtant c’est exactement ce que recherche Alexandre Loukachenko dans la “guerre hybrique” qu’il mène à l’Europe : il a intérêt à ce que la situation dégénère pour critiquer l’attitude inhumaine des Européens… ce dont se chargent d’ailleurs déjà amplement les journaux biélorusses et russes.  

Mais la presse polonaise elle aussi commence à perdre son calme : l’hebdomadaire conservateur Do Rzeczy publiait par exemple ce lundi un article sur les grands sièges de l’histoire mondiale, comme pour sous-entendre que les barbares sont aux portes du pays, et qu’il va falloir être forts  et endurants pour en protéger coûte que coûte les frontières. Une partie de la Pologne se vit donc comme “assiégée“, mais pour le moment elle affirme pouvoir gérer seule cette crise.  

Et pourtant les médias de Varsovie, comme le portail d’info gazeta.pl, saluent la prise de parole assez forte hier de la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, qui appelle la Biélorussie à “cesser de jouer cyniquement avec la vie de milliers d’exilés” à des fins diplomatiques ; elle appelle aussi les États membres de l’Union à “voter rapidement des sanctions plus sévères encore” contre le régime Loukachenko ; elle appelle enfin et surtout les autorités polonaises à “accepter l’aide” que lui proposent l’Allemagne et la Lituanie notamment pour mieux protéger la frontière Schengen. 

Car comme le soutient Jan Sternberg de l’allemande RND, “le drame qui se noue à la frontière biélorusse nous concerne tous“, les migrants pris dans l’étau de ce bras de fer diplomatique sont aussi les victimes de notre empressement à les repousser coûte que coûte, en recourant à la force militaire comme la Pologne est en train de le faire. Mais l’Allemagne (comme la France serait-on tenté d’ajouter) reste silencieuse, alors que nos pays “portent la responsabilité, par leur échec à faire voter une politique d’asile et d’immigration commune aux 27 états-membres, d’avoir rendue l’Europe vulnérable aux attaques d’un dictateur sans scrupules“.  

Les images d’hélicoptère survolant au plus près les migrants ce lundi pour les effrayer, font enfin réagir dans les colonnes de La Repubblica en Italie un certain Bernard Guetta, qui y publie une tribune dans laquelle il accuse l’Europe, en se bornant à repousser ces hommes, femmes et enfants à la frontière biélorusse, de se rendre “complice de graves violations de son obligation à accueillir les personnes en danger“. Dans le no man’s land entre Pologne et Biélorussie, rappelle le journaliste et eurodéputé français, “on meurt de froid à force de dormir dehors“. Que Loukachenko joue de cette arme ultra-cynique, c’est une chose, mais que l’Europe et la Pologne en face ne soient pas capable de montrer autre chose d’un mur, au sens figuré mais bientôt aussi au sens propre, voila de quoi ressentir de la “honte“, écrit enfin Bernard Guetta dans la Repubblica.

En Chine, le parti communiste se replonge dans son histoire pour mieux la réécrire.  C’est l’enjeu principal, à lire The South China Morning Post, du 6e plenum du PCC qui s’est ouvert hier, à huis clos, à Pékin. Il s’agit donc de faire voter aux dignitaires du comité central du Parti une résolution sur les cent ans de sa glorieuse histoire ; jusque-là seuls Mao Zedong et Deng Xiaoping avaient affiché de telles ambitions historiographiques, et cette démarche va donc permettre à Xi Jinping, pour le dire clairement, de réécrire l’histoire comme il l’entend, de se placer à l’égale des deux précédents grands leaders chinois pour définir les grandes lignes idéologique du futur régime politique chinois dont il entend bien entendu rester le seul guide. 

Mais à lire Tsukasa Hadano, dans le Nikkei japonais, on comprend que cette réécriture de l’histoire est déjà largement à l’oeuvre dans ce qui se publie aujourd’hui en Chine :  pour former les esprits de la nouvelle génération, une maison d’édition de Pékin a lancé en septembre une bande-dessinée historique… dont le contenu donne un aperçu de ce à quoi ressemblera l’histoire de la Chine communiste revue et corrigée par Xi Jinping. 

On y loue les réalisations de ce dernier, le plan Nouvelle route de la Soie qui a assis son emprise sur de très nombreux pays voisins comme lointains, le succès de sa lutte contre le Covid-19… et puis, si l’on remonte dans le temps, rien sur le soulèvement de la place Tien An Men, quelques critiques mais qui restent floues sur la Longue Marche, la Révolution culturelle et Mao Zedong, surtout en fait des louanges tressées aux progrès industriels, militaires et spatiaux que Mao a fait accomplir à la Chine. 

Quand les précédentes résolutions historiques du PCC se concentraient sur la reconnaissance des erreurs des anciens dirigeants, celle qui va s’écrire cette semaine, conclut l’article du Nikkei, veut surtout arrondir les aspérités du passé pour en montrer la cohérence avec l’avenir forcément radieux que promet Xi Jinping aux Chinois pour les décennies à venir.

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