Livrées à 17 rédactions à travers le monde, des données de Forbidden Stories et d’Amnesty International ont confirmé que le Maroc a bien utilisé le logiciel israélien Pegasus développé par NSO pour viser des journalistes. Après Omar Radi au Maroc, de nouvelles cibles seraient concernées en France, en Belgique ou en Espagne : Edwy Plenel, Eric Zemmour, ou Ignacio Cembrero.

Photo d’illustration / DR
Portrait de Ghita Zine

Ghita Zine
Journaliste Yabiladi.com

La liste des personnes visées dont le smartphone est surveillé par le Maroc s’allonge. Des journalistes, des militants et acteurs politiques marocains mais aussi français font partie des cibles des services marocains, selon la dernière enquête du réseau collaboratif de journalistes Forbidden Stories et l’ONG Amnesty International au sujet du logiciel israélien Pegasus, développé par le groupe NSO. Cette surveillance systématique est l’œuvre de gouvernements de dix pays sur une quarantaine de clients, parmi lesquels figure le royaume.

Au Maroc, ce sont surtout les noms de journalistes et de militants critiques. On y retrouve Omar Radi, Taoufik Bouachrine, ancien directeur de publication d’Akhbar Al Yaoum, Ali Amar, fondateur du Desk, Hamid Al Mahdaoui à la tête du site Badil, le journaliste et enseignant universitaire Omar Brouksy, ou encore le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, selon le journal Le Monde.

Dans le royaume, des militants ont précédemment déclaré avoir été ciblés par des intrusions dans leurs téléphones à des fins d’espionnage, à l’image de Fouad Abdelmoumni. En 2019 déjà, Amnesty a soutenu dans ses rapports que des défenseurs de droits humains au Maroc étaient pris pour cible par Pegasus, comme ce fut le cas pour l’universitaire et historien Maâti Monjib, ainsi que l’avocat du Hirak du Rif, Abdessadak El Bouchattaoui, en exil politique en France.

Selon la récente enquête, les services marocains auraient espionné des numéros français également, au sein des rédactions de Mediapart, du Canard enchaîné, du Figaro, du journal Le Monde, de l’AFP ou même de France télévision. En tout, «une trentaine» a été concernée dans l’Hexagone. «A plusieurs reprises, le consortium Forbidden Stories et le Security Lab d’Amnesty International ont pu techniquement déterminer que l’infection avec Pegasus avait été couronnée de succès», a encore révélé Le Monde.

Des numéro en lien direct ou indirect avec le Maroc visés par les renseignements

Dans le cas de Mediapart, les déclarations d’Edwy Plenel sur le Hirak du Rif, en 2019, auraient attiré l’attention des renseignements marocains lorsque le fondateur du media français a participé à une table-ronde à Essaouira. Il compte d’ores et déjà porter plainte. Au sein de Mediapart, Lenaïg Bredoux a également été ciblée. En 2015, elle a été l’auteure d’une série d’articles sur Abdellatif Hammouchi, à la tête de la DGSN et visé dans le temps par une plainte en France pour complicité de torture.

Directeur de la radio TSF Jazz, Bruno Delport a été ciblé aussi. Il préside en parallèle le conseil d’administration de l’ONG Solidarité Sida, qui a développé des programmes de prévention auprès des travailleuses du sexe au Maroc, rappelle Le Monde. Profil moins attendu, Eric Zemmour aurait également été espionné à partir d’un numéro de téléphone, désactivé depuis. En 2019, le polémiste a tenu des propos violents à l’encontre des migrants marocains.

Les dix pays concernés par l’enquête sont le Maroc, l’Azerbaïdjan, le Mexique, le Rwanda, l’Arabie saoudite, la Hongrie, l’Inde, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Kazakhstan. Relayée par The Guardian dans le cadre du travail du consortium de 17 journaux, la réponse des autorités marocaines conteste fermement l’ensemble de ces «allégations» qu’elles estiment «infondées». Elles nient aussi faire partie de la clientèle du groupe NSO. Aussi, elle ont rappelé qu’elles attendaient «depuis le 22 juin 2020 des preuves matérielles d’Amnesty International, incapable de prouver une quelconque relation entre le Maroc et ladite société israélienne». En revanche, ce n’est pas la première fois que l’utilisation par le Maroc de ce type de logiciels à l’encontre de militants ou de journalistes est évoquée. Il est lieu de mentionner l’affaire impliquant Amesys.

Pour sa part, le groupe NSO a indiqué ne pas piloter les systèmes vendus aux «clients gouvernementaux vérifiés» et ne pas avoir «accès aux données des cibles des clients». Pour NSO, l’enquête du consortium, quoique basée sur une liste de plus de 50 000 numéros, contiendrait «beaucoup de théories non corroborées» et soulèverait «de sérieux doutes sur la fiabilité [des] sources». Cependant, une enquête de Citizen Lab a identifié en 2020 «ce qui semble être un système unique» d’un produit de Circles (filiale de NSO) au Maroc.

Selon le rapport de cette enquête, le Maroc aurait été «connecté à plusieurs cas d’abus de surveillance au cours de la dernière décennie, allant du ciblage d’organisations de défense des droits humains avec le logiciel espion de Hacking Team à une série de cas plus récents dans lesquels le logiciel espion Pegasus de NSO Group a été utilisé pour cibler la société civile au Maroc et à l’étranger».

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