L’économiste Julia Cagé, qui travaille sur les modèles de financement des médias, a accepté d’être la marraine de notre revue de presse « Chez les indés ». « Le reportage et l’enquête, tout cela est un bien public », qu’il nous faut soutenir.

Voilà c’est fait. Le Président de la République vient de confirmer la fin de la redevance audiovisuelle, et ce dès cette année. Une façon de fragiliser encore un peu plus l’audiovisuel public, ses financements comme son indépendance.

Pourtant, ce n’est pas comme si, du côté privé, le paysage médiatique brillait aujourd’hui par son pluralisme et sa diversité ; nous ne reviendrons pas ici sur la concentration croissante du secteur entre les mains d’un petit nombre d’industriels, ni sur le peu de considération qu’un Vincent Bolloré a pour ses journalistes et l’indépendance de leur travail. Comment s’étonner dès lors que, enquêtes après enquêtes, la confiance des Français dans les médias ne semble plus s’arrêter de s’effondrer ?

Une information de qualité, le temps de l’enquête, du terrain, de l’écriture, tout cela, il faut pouvoir le financer.

Pourtant, il y a des raisons d’avoir confiance – et d’avoir confiance dans le futur. Comme citoyen.n.e, si vous vous préoccupez de la qualité et de l’indépendance de l’information que vous consommez, vous pouvez la soutenir. Comment ? En vous rendant « chez les indés » ! Ce « portail des médias libres » mis en place par Basta! vous permet de découvrir chaque semaine le meilleur de la presse indé, d’Arrêt sur images aux Jours en passant par Médiapart ou encore L’Humanité. Pourquoi est-ce essentiel ? Parce que l’information indépendante, l’investigation journalistique, le reportage et l’enquête, tout cela est un bien public, indispensable au bon fonctionnement de nos démocraties.

L’information comme bien public, c’est ce qui fait de chacune et chacun d’entre nous des citoyen.n.es éclairé.e.s, avertis des enjeux essentiels et, au moment de nous rendre aux urnes par exemple, à même de faire un choix correspondant réellement à nos préférences. C’est ce qui nous permet de nous mobiliser, collectivement, pour des causes qui nous semblent importantes ou de nous lever contre des injustices flagrantes. Mais c’est également ce qui, depuis des décennies, a permis, au niveau local comme national, de lutter contre les malversations, la corruption, etc. car ces phénomènes ne peuvent être combattus efficacement si, pour commencer, ils ne sont mis à jour. Or comment les mettre à jour sans le travail des journalistes ?

Sauf que cela a un prix. Une information de qualité, le temps de l’enquête, du terrain, de l’écriture, tout cela, il faut pouvoir le financer. Et ce prix, c’est aux citoyen.e.s, pris individuellement comme « consommateurs » d’information (par exemple à travers l’abonnement ou la participation à des campagnes de financement participatif) ou collectivement comme contribuables, de le financer. C’est cela l’indépendance des médias : une information financée par ceux qui la consomment. Car si ceux qui la consomment ne paient pas pour cette information, cela veut dire que d’autres sont prêts à produire pour une information qu’ils vous donnent à consommer « gratuitement ». Ce qui interroge évidemment sur leurs « motivations » – qu’elles soient politiques ou en matière d’influence – mais aussi sur les conséquences que cela peut avoir en termes d’égalité – ou plutôt d’inégalité – politique.

Ces médias indépendants, il nous faut les soutenir.

Bien sûr, il n’y pas que les « indés », ces médias – souvent de petite taille – possédés au moins en partie par les journalistes eux-mêmes, aux statuts souvent coopératifs ou à but non lucratifs – et qui n’appartiennent pas à des industriels extérieurs au secteur. Bien sûr, même les plus « gros » médias qui appartiennent eux à des industriels peuvent être régulés afin de garantir la production d’une information indépendante, par exemple en mettant en place un certain nombre de principes qui pourraient prendre la forme d’une « loi de démocratisation de l’information », à commencer par une gouvernance démocratique qui implique fortement les journalistes eux-mêmes mais également l’introduction d’un droit d’agrément ou la transparence de l’actionnariat.

Mais les « médias indépendants », comme on les appelle, leurs enquêtes tout comme le traitement particulier qu’ils apportent de l’actualité, leur point de vue sur le monde, sont indispensables aujourd’hui au débat démocratique. Chacun à leur façon – Les Jours sous la forme de « séries », Médiapart à travers l’enquête, Politis à travers la parole des artistes, élus, et acteurs divers de l’innovation citoyenne, Le Bondy Blog qui éclaire comme nul autre le quotidien de ceux dont la parole est souvent ignorée, quand elle n’est pas déformée – apportent leur pierre à la construction d’une délibération publique de qualité.

Ces médias indépendants, il nous faut les soutenir. Soutenir le portail des médias libres de Basta!, qui fait le choix d’aider à rendre visible le travail de tous ces médias, est sans doute l’une des meilleures façons de le faire. Car l’information des citoyen.e.s que nous sommes ne doit pas se faire en mettant en concurrence les médias qui la produisent ; parce que l’information est un bien public, il est nécessaire de la sortir de la pure logique du marché, à commencer par celle de la concurrence. Elle doit se faire en se donnant collectivement les moyens de produire chaque jour – c’est-à-dire également de consommer – une information indépendante et de qualité.

Julia Cagé, économiste

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