L’armée en ordre de bataille, c’est la première image qui nous vient quand il est question du défilé du 14 juillet. Depuis 1935  défilèrent aussi partis de gauche et syndicats pour reprendre la tradition révolutionnaire et ponctuellement pour lutter contre la montée en puissance des ligues d’extrême droite.  Ce 14 juillet 1953, ils sont entre 10 et 15.000 partant de Bastille, beaucoup de communiste qui réclament la libération des leurs, et la paix en Indochine. En fin de cortège, les nationalistes algériens du MTLD, le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques de Messali Hadj. Ils sont entre 6 à 8 000, très organisés, très encadrés, majoritairement des jeunes travailleurs venus en masse pour reconstruire le pays et qui vivent dans des conditions très sommaires en banlieue. Place de la  Nation, la police va tirer sur les Algériens, on  relève ce jour-là 7 morts  6 algériens et un militant de la CGT et plus de 50 blessés, tous atteints par des balles tirées par la police. Evènement qui fut « un déclic dans le déclenchement par le FLN de la guerre de libération »

          IV -ème république anticommuniste et colonialiste

Daniel Kupferstein, documentariste, a fait d’abord un film en 2014 sur ce trou noir de l’histoire puis pour exploiter la totalité des témoignages recueillis, il a rédigé  un livre intitulé «  les balles du 14 juillet. » Archives, témoignages, lecture systématique de la presse de l’époque, l’auteur tente de comprendre comment cet évènement a été effacé des mémoires : la grande grève d’août 53, la guerre en Indochine, le changement de ligne du PCF, pas très clair sur la colonisation, la guerre d’Algérie qui débute à l’automne suivant avec des milliers de morts, les Algériens eux même qui  après la victoire ont ausculté le rôle de Messali Hadj.

Du côté des autorités de la IVème république, « farouchement anticommuniste et colonialiste » le crime raciste d’état sous prétexte de légitime défense  est le plus clairement dénoncé dans ces lignes publiées dans le monde du 19/20 juillet 1953, signées par Albert Camus et citées en exergue du livre de Kupferstein : « Quand on constate encore que la plupart des journaux (…) couvrent du nom pudique de « bagarres » ou d’ « incidents » une petite opération qui a coûté sept morts et plus d’une centaine de blessés , quand on voit enfin nos parlementaires, si pressés de courir à leurs cures, liquider à la sauvette ces morts encombrants, on est fondé, il me semble, à se demander si la presse, le gouvernement, le parlement aurait montré tant de désinvolture dans le cas où les manifestants n’auraient pas été nord-africains et si, dans le même cas, la police aurait tiré avec tant de confiant abandon. Il est bien-sûr que non et que les victimes du 14 juillet ont été un peu tués aussi par un racisme qui n’ose pas dire son nom. »

                                          Le temps de la mémoire

Un massacre qui a disparu des archives de la police dont les rapports ne font état que des blessés côté force de l’ordre. Jamais aucun des tireurs ne sera inquiété par la justice, pas plus que ceux que, plus tard en 61, Papon préfet de police de Paris couvrira en termes crus : «  Vous êtes en état de guerre, les coups, il faut les rendre. (…) Tirez les premiers, vous serez couverts, je vous en donne ma parole. » Daniel Kupferstein lève un grand-voile sur ce crime d’état. Avant lui, l’historien Maurice Rajsfus avait publié déjà un ouvrage sur ce sujet en 2003 mais il était passé totalement inaperçu. Le temps de la mémoire et de la réhabilitation est-il venu pour les 8 victimes du 14 juillet 1953 ? Le conseil de Paris a décidé le 31 janvier 2017 d’apposer une plaque commémorative place de la Nation «  à la mémoire des victimes de cette répression du 14 juillet 1953. »    

                                 Jean-François Meekel

Daniel Kupferstein Les Balles du 14 juillet 1953

Le massacre policier oublié de nationalistes algériens à Paris

Préface de Didier Daeninckx La Découverte  

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