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Livre : Marie Cosnay documente par la littérature le naufrage total des politiques migratoires européennes
La Bayonnaise Marie Cosnay entrelace depuis des années son activité militante en faveur des exilés et son œuvre littéraire, pour témoigner de l’histoire en cours. © Crédit photo : Bertrand Lapègue

Par Pierre Penin – p.penin@sudouest.fr
Publié le 28/01/2023 à 10h05

L’écrivaine bayonnaise enquête dans les lieux où les États entravent l’exil, empêchent les vivants et font des morts. Elle construit, avec la trilogie « Des îles » (Ogre) une œuvre littéraire et documentaire sur un phénomène historique

Avec « Des îles II », deuxième volet de sa trilogie littéraire et documentaire aux éditions de l’Ogre, Marie Cosnay poursuit la chronique d’une défaite. Celles des politiques aux frontières continentales, où se dissolvent, dans les eaux atlantiques et méditerranéennes, les valeurs morales européennes. « On n’empêchera pas le mouvement. On ne fait que le rendre dangereux. Les frontières sont des apparences, mais elles font beaucoup de morts », pose Marie Cosnay. « Ces morts sont nos morts », écrit-elle.

« Des îles », premier volume, l’avait amenée à Lesbos et dans les Canaries. Une enquête à travers la géographie ubuesque de l’exil et ses vies en transit. Le « deux » est sous-titré « îles des faisans, 2021-2022 », en référence à ce condominium franco-espagnol, ridicule caillou sur la Bidassoa. L’auteure en fait un symbole du drame.

Le 21 mai 2021, Yaya Karamoko, Ivoirien de 28 ans, se noie dans le fleuve frontière. Pour la première fois, un migrant meurt dans une tentative de « passage » au Pays basque, où vit Marie Cosnay.

Morts ici

En un an, quatre autres : Abdoulaye Koulibaly, Sohaibou Billa, Ibrahim Diallo, Abdouramane Bah. Le 12 octobre 2021, un train pulvérise Ahmed Belhiredj, Fayçal Hamadouche et Mohamed Kemal, à Ciboure. Ils ont en commun d’avoir voulu échapper aux contrôles policiers. Marie Cosnay compare aux disparus des guerres les corps engloutis dans la traversée vers l’Europe. « Leurs parents n’auront jamais de certitude. Mais quand une personne meurt ici, il y a un corps, on peut l’identifier. Il faut le faire. »

« Une catastrophe de guerre » : le contrôleur du train qui a happé quatre migrants à Ciboure témoigne

Le 12 octobre, trois Algériens sur la route de l’exil ont trouvé la mort, à Ciboure. Un quatrième est gravement blessé. Le cheminot Laurent Douthe fut le premier sur place. Il livre le récit cru de ces moments terribles

Migrants au Pays basque : « C’est un miracle pour moi, mais le sang de mes amis est partout »

Le 12 octobre 2021, un train fauchait quatre migrants sur la route de l’exil. Trois ont connu une mort atroce. Mohamed Saoud a survécu. Blessé dans sa chair et traumatisé, il témoigne pour la première fois, un an jour pour jour après la tragédie

Parce que « personne ne meurt seul ». Une famille doit s’acquitter de son amour : pleurer, inhumer, prier. Au sein d’un réseau militant resserré, Marie Cosnay aide à identifier les morts, pour les rendre aux leurs. Le petit monde des exilés reconnaît vite les siens : Yaya, Abdoulaye… Suit le plongeon dans l’absurde : il faut que la justice du pays funeste valide, tamponne, estampille ce que savent les amis, proches, activistes.

Histoire en cours

L’auteure décrit cette folie réglementaire, de procédures empilées sur les morts et les vivants. La bêtise administrative où pour une rature de quelque préposé distrait, un cachet manquant, on dit à une femme qu’elle n’est pas la mère de sa fille, que ce cadavre n’est pas son frère. Marie Cosnay écrit tout cela, « pour montrer ce que l’illégalisation des déplacements faits aux relations ».

« Il y aura un travail historique sur cette hécatombe. Mais ce que l’on retiendra, c’est que le mouvement a eu lieu »

Le collectif Caminando fronteras recense 11 000 morts et disparus en cinq ans, entre Afrique et Espagne. Marie Cosnay lit dans les migrations un phénomène historique à ses débuts. La peur et la faim le tisonnent, la catastrophe climatique le multipliera. « Il y aura un travail historique sur cette hécatombe. Mais ce que l’on retiendra, c’est que le mouvement a eu lieu. Parce qu’on n’arrête pas ceux qui veulent vivre. »

L’écrivaine bayonnaise documente cette faillite pratique et morale, donc totale. « Ce sont des petits livres qui suivent des traces. Un peu comme les archives sont des petites choses qui disent l’histoire et s’ouvrent un jour. » Au temps venu des réquisitions, pense-t-elle.

« Des îles – île des faisans 2021-2022 », de Marie Cosnay, éd. de l’Ogre, 256 p., 21 €.

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