Publié le 6 février 2024 par Hugues Le Paige
Elles ne se quittent plus. Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen multiplient les gestes de connivence. La seconde décernant des brevets de bonne gestion du Plan de Relance Européen à l’égard de la première, alors que son gouvernement peine à rentrer les projets demandés.
« Mais elle (Ursula) est encore en Italie ? » Selon le quotidien La Repubblica[1], c’est la question la plus fréquemment posée dans les couloirs de la Commission. Cette complicité ouvertement politique a ses raisons partagées par les protagonistes.
La présidente de la Commission mène campagne pour sa réélection et verrait d’un bon œil le soutien des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE- droite nationaliste[2] ) présidés par Meloni qui, de son côté, veille à ne pas être isolée au sein des instances européennes. Mais au-delà des positionnements stratégiques qui animent l’une et l’autre, leur alliance (pour l’instant) informelle recouvre un projet politique et idéologique. Il rencontre le glissement à droite des chrétiens-démocrates et surtout il est inspiré par la ligne que Giorgia Meloni a réussi à imposer en Italie : l’alliance de l’extrême droite, de la droite radicale et de la droite libérale historique. C’est bien la dirigeante des Fratelli d’Italia qui dicte la partition. Le contexte européen lui est favorable. Un peu partout, comme en France ou en Belgique, le libéralisme classique s’est rapproché des thèses de l’extrême droite parfois jusqu’à en perdre sa personnalité propre. Et si l’on veut bien examiner les politiques menées par la Commission de Bruxelles on voit que le terrain est déjà préparé. En politique internationale, l’ultra atlantisme dans la guerre russo-ukrainienne, la complaisance à l’égard des massacres commis par Israël dans la bande de Gaza (et en Cisjordanie), l’abandon des principaux objectifs du Green Deal, le retour à l’austérité avec la réforme du traité budgétaire, un pacte migratoire essentiellement répressif copie conforme de la politique menée par le gouvernement italien : voilà qui indique que Meloni a les coudées franches[3]. Elle peut même se permettre de bloquer la réforme du MES (Mécanisme Européen de Stabilité), instance non officielle de l’Union censée « aider » les pays qui connaissent une crise financière (en échange de « réformes » ultralibérales) et qui s’était illustrée dans l’étranglement de la Grèce en 2011.
En d’autres temps, ce blocage aurait valu à l’Italie d’être mise au ban des pays de la zone euro. Il n’en a rien été. Cela indique d’une part que Meloni jouit d’une réelle marge de manœuvre et qu’une fois encore elle peut se permettre sans risque de tenir un double discours bien utile sur le plan intérieur comme sur la scène européenne. Avaliser l’austérité avec la réforme du traité budgétaire tout en bloquant son avatar du MES en est l’illustration. Sur le plan intérieur, le président du conseil (elle tient au masculin de la fonction) italien n’a eu de cesse depuis son arrivée au pouvoir de jouer sur une étroite ligne de crête entre le discours souverainiste teinté de post fascisme et celui de l’Europe libérale et atlantiste. Cette hybridation idéologique[4] qui est le grand dessein de Meloni trouve aujourd’hui un terrain fertile au sein de l’Union et de ses instances. L’association Meloni-von der Leyen veut imprimer un nouveau visage à l’Union Européenne qui risque d’être confirmé par les élections de juin prochain. Le pire des scenarios que la politique de la Commission Européenne aura largement contribué à mettre en place.
[1] La Repubblica 17 janvier 2024
[2] On y retrouve les partis de la droite radicale et nationaliste, atlantiste et ultra libérale, mais aussi de formations d’extrême-droite comme Vox (Espagne) Critique vis-à-vis des institutions européennes, ils n’envisagent pas de les quitter.
[3] On a encore vu la capacité de mobilisation européenne de Meloni lors du sommet italo-africain des 28 et 29 janvier dernier à Rome. Toutes les instances de l’Union étaient représentées au plus haut niveau aux côtés des 28 chefs d’État de et de gouvernements africains pour débattre du plan (dit Mattei) qui vise à faire de l’Italie le « hub » européen des ressources énergétiques africaines et à faire régler la question migratoire par les pays africains en échange d’investissements. Un plan demeuré extrêmement vague aux yeux des états africains comme de la plupart des observateurs.
[4] Voir Le Paige, « Meloni ou l’hybridation idéologique », revue Ensemble n° 112, janvier 2024 : https://www.ensemble.be/wp-content/uploads/2024/01/Ensemble- et Le Paige, Double langage au gouvernement italien, Le Monde Diplomatique, décembre 2022 ainsi que https://leblognotesdehugueslepaige.be/
meloni-an-i-le-janus idéologique/