L’extrême droite israélienne au pouvoir attaque dans sa chair la jeunesse palestinienne, dans le but qu’elle ne puisse plus faire société. Mais la jeunesse encore valide résiste, ou rêve de résister.

Denis Sieffert • 13 décembre 2023

Palestine : c’est la jeunesse qu’on assassine
Des jeunes de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 12 octobre 2023, après des bombardements israéliens.
© SAID KHATIB / AFP


C’est un petit garçon de dix ans. Il claudique dans les ruines de Khan Younès, la grande ville du sud de Gaza. À la place de sa jambe droite, une prothèse. Presque un privilège au milieu de tous ces gamins amputés des membres inférieurs. « J’aurais voulu être footballeur », dit-il. Puis, après un silence : « Ça restera le jeu que je préfère. » Ces images bouleversantes ont été entraperçues à la fin d’un journal de France 2. Mais les Israéliens, enfermés malgré eux dans un récit unilatéral, ne les verront pas. Pas plus d’ailleurs que nos téléspectateurs des chaînes d’information en continu. Eux voient et revoient ces deux autres enfants, du même âge, Israéliens, enlevés le 7 octobre par le Hamas, et libérés au troisième jour de la trêve. Leur sort nous a bouleversés aussi. Ceux-là ont leurs membres intacts, mais une plaie à l’âme qui ne se refermera sans doute jamais.

La jeunesse palestinienne, elle est là, parmi les survivants, souvent infirmes à vie.

Le malheur des uns ne devrait pas faire oublier le malheur des autres. Ces gamins se ressemblent, sauf dans l’imaginaire des militaires israéliens. Le petit Gazaoui fait partie des innombrables victimes civiles des bombardements israéliens. Ce sont pour la plupart des jeunes, et souvent des enfants. Quelque 40 % des Gazaouis ont moins de 14 ans. Et l’âge médian là-bas est de 18 ans. Depuis que le massacre a commencé, le gouvernement du Hamas tient une comptabilité macabre. On parle ces jours-ci de 17 000 morts et de 50 000 blessés. L’économiste Claude Serfati a rapporté ce bilan à la population française. Cela ferait chez nous 400 000 morts et 1,3 million de blessés.

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Notre imagination bute sur ces chiffres apocalyptiques. La jeunesse palestinienne, elle est là, parmi les survivants, souvent infirmes à vie. C’est une donnée fondamentale pour qui veut réfléchir à l’avenir. L’extrême droite israélienne au pouvoir ne limite pas seulement le champ des possibles palestiniens à des territoires en Cisjordanie de plus en plus exigus, et à une enclave de Gaza qu’elle tente de vider, elle attaque dans sa chair la jeunesse dans le but inavouable qu’elle ne puisse plus faire société. Et la guerre israélienne n’oublie pas de cibler les lieux de culture. « À Gaza, les jeunes prennent les arts », titrait Politis en février dernier. Que reste-t-il aujourd’hui des stades et des espaces culturels, lieux de résistance à l’emprise du Hamas, que nous montrions à l’époque ?

C’est une population d’assistés (mais par qui ?) que prépare la violence israélienne. Les bombardements sont aveugles, mais la stratégie ne l’est pas. Et cela vient de loin. On repense au bilan des manifestations du printemps 2018. La « grande marche du retour » qui commémorait les 70 ans de la Nakba, l’exode massif des Palestiniens en 1948. Des associations avaient organisé chaque vendredi des marches qui venaient au contact de la « barrière de sécurité ». Des gamins envoyaient des cocktails Molotov, mais la violence palestinienne s’arrêtait là. Et le Hamas n’avait fait que récupérer tardivement le mouvement. Cela n’avait pas empêché l’armée, postée de l’autre côté, de tirer comme à la parade. Fin novembre, on dénombrait 235 morts, et 18 000 blessés.

L’idée de résistance ne se laisse pas éradiquer. Mais elle a changé de nature.

Mais ce que l’on a retenu de cet épisode, et que les ONG avaient documenté, c’est que les blessés souffraient de blessures très handicapantes qui n’étaient pas dues au hasard. Les snipers en uniforme avaient reçu ordre de briser les os des genoux. On avait fabriqué des infirmes par milliers. Cela fait partie de ce que le grand intellectuel palestinien Edward W. Said, appelait « la dépossession de Palestine ». Lui qui disait être entré dans l’action politique en entendant Golda Meir affirmer en 1967 : « Ces gens-là n’ont pas existé. » La dépossession, sous la plume de Said, est à entendre dans sa profondeur à la fois territoriale, culturelle et sociétale.

En dépit de ce tableau funeste, la jeunesse encore valide résiste, ou rêve de résister. Les gamins qui voient détruire leurs maisons, mourir leurs frères ou leurs pères rejoignent dès qu’ils en ont l’âge les groupes armés à Jénine ou ailleurs. Avec, trop souvent, l’idéal morbide du martyr. Mourir comme le grand frère, en combattant. L’idée de résistance ne se laisse pas éradiquer. Mais elle a changé de nature. On est loin de la première Intifada de 1987, quand les jeunes étaient totalement investis dans un projet collectif pour un État. Le projet est aujourd’hui individuel : mourir en chahid ou partir. En attendant peut-être que se dessine une troisième voie, que la jeunesse palestinienne pourrait partager avec la nôtre, et qui porterait un nom : espoir.

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