« Les événements d’Algérie » Pour moi, déclare Marc Garanger, c’était une guerre perdue d’avance, une idiotie. Je ne voulais pas faire cette saloperie. » A 25 ans, tous les sursis et recours épuisés, il a dû néanmoins s’y résoudre… en se jurant de témoigner de l’horreur de la guerre et de faire de la photographie son arme de résistance

.Marc Garanger était photographe professionnel. Arrivé comme bidasse de seconde classe au fin fond de l’Algérie sur les hauts plateaux de Kabylie, il a été nommé photographe officiel du régiment. Marc Garanger s’est retrouvé à photographier tout ce qu’il voulait dans une liberté absolue : les morts, les prisonniers, les torturés, les déplacés… Sans que ses supérieurs ne saisissent le sens de sa démarche. « La photographie, c’est magique !, s’exclame l’ancien appelé. Chacun y voit ce qu’il a dans la tête et rien d’autre. Le commandant était très content de ce que je faisais. Pour lui, je travaillais pour sa gloire et celle de la France. Il n’a pas compris un seul instant que je déboulonnais jour après jour ce qu’il essayait de bâtir. »C’est à la fin de la guerre que Marc Garanger réalise son travail le plus remarquable : des portraits de femmes algériennes. « On était en période dite de pacification. Ce qui voulait dire : raser les maisons isolées des fellagas pour les obliger à en reconstruire de nouvelles autour du poste militaire français. Des villages de regroupement où chaque habitant devait avoir une carte d’identité et c’est donc moi qui ai été chargé de faire les photos. » Des photos d’identité qui sont devenues des portraits de femmes au regard digne et fier, résistant, sans arme, à l’humiliation de la colonisation.

Femmes algériennes 1960 Le dévoilement forcé.«

Je savais que c’était un acte policier épouvantable, souligne Marc Garanger. Donc je n’ai pas fait des photos d’identité mais des portraits en majesté cadrés à la ceinture pour rendre à ces femmes toute leur dignité. » Résultat : 2000 portraits en 10 jours (essentiellement féminins puisque la plupart des hommes avaient pris le maquis). Dans chaque village, Marc Garanger faisait assoir les femmes sur un tabouret contre le mur blanc de leur maison. Pas de paroles. Pas de protestation. Saisies dans leur intimité, les femmes se pliaient aux ordres sans broncher. Au début, elles faisaient tomber sur leurs épaules le morceau de tulle qui voilait leur visage mais gardaient le cheich enroulé autour de la tête, puis elles ont été forcées à tout enlever. « Après avoir vu mes premières photos, le commandant a demandé à ce que les femmes soient complètement dévoilées. Il m’a dit : “quand on se fait photographier, on enlève son chapeau” ! C’était un pas de plus dans l’agression et ça se lit dans le regard de ces femmes. A l’exception des plus jeunes qui étaient sans doute plus apeurées, elles m’ont foudroyé du regard. Mais je savais ce que je faisais. »Dans la chambre noire qu’il s’était bricolée, Marc Garanger recadrait les portraits pour en faire des photos d’identité classiques avant de les montrer à son supérieur. « Quand il les a eues entre les mains, le commandant a eu ces paroles incroyables : “Venez voir ces femmes comme elles sont laides ; venez voir ces macaques, on dirait des singes”. Le racisme était une chose inimaginable dans l’armée française à cette époque. »Quelques mois plus tard, le photographe a eu sa revanche. Lors d’une permission, il est passé clandestinement en Suisse et a fait paraitre ses portraits de femmes algériennes dans L’Illustré suisse pour donner à voir la véritable histoire qui se déroulait en terre algérienne.

Marc Garanger (décédé le 27 avril 2020)

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