Entré à la Colonie Pénitentiaire du Palais, à Belle Ile en Mer, la bien nommée, le 16 mai 1927, Jules Bonneau dit « La Teigne » en sortira à 20 ans, 10 ans plus tard. Une ode au réensauvagement du monde.

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Patrick LE HENAFF

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Rentrée littéraire. « L’ENRAGÉ » » de Sorj Chalandon.

Entré à la Colonie Pénitentiaire du Palais à Belle Ile en Mer, la bien nommée, le 16 mai 1927, Jules Bonneau dit « La Teigne » en sortira à 20 ans, 10 ans plus tard.

Découpé en deux parties, presque indépendantes et en même temps astucieusement mêlées, Sorj Chalandon nous emmène dans un Monde que le lecteur ignore probablement totalement, celui des Maisons de Correction, ou de Redressement, comme l’on  disait encore dans les années 60, les colonies pénitentiaires, tout simplement le Bagne pour enfants, l’antichambre de Cayenne.  On y place les orphelins, les enfants abandonnés, les voleurs de pommes, les chapardeurs, les rebuts de la société, ceux dont on ne sait pas quoi faire à cette époque, les petits, marginaux, seuls, abandonnés. Est-on si loin de cette vérité encore aujourd’hui ? Les conditions de vie y sont terribles, les brimades permanentes, les violences, les sévices sexuels, quotidiens, les privations de longue…. Pas sûr que l’on redresse grand monde là-dedans !

Là où paradent les gardiens , eux même frustrés de la vie, alcooliques, anciens poilus pour certains,  et qui ont trouvé    un exutoire à leur propre solitude. La description est terrible, parfois insoutenable. On a l’habitude de lire, de voir, d’entendre, la misère aujourd’hui, sous tous ces angles, toujours est-il que cette dureté-là    est difficile à lire. Mais Chalandon sait faire, sait trouver les mots, les phrases, pour décrire sans complaisance une réalité qui nous est étrangère.

« C’était quoi la morale ? Laisser le bouillon à un enfant et garder la viande pour soi ?

« Je n’ai pas droit aux sentiments. Les sentiments c’est un océan, tu t’y noies. Pour survivre ici il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tu as froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque l’obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin. Rester droit, sec, nuque raide, N’avoir que des poings au bout de tes bras. Tant pis pour les coups, les punitions, les insultes. S’évader les yeux ouverts, et marcher, victorieux dans le sang des autres, mon tapis rouge. Toujours préférer le loup à l’agneau. »

 Le 27Aout 1934, sans préméditation véritable, 56 enfants s’évadent, font le mur, dans un désordre indescriptible, avec une violence à la hauteur de leur frustration. Ils s’échappent des murs du Fort Vauban. 55 seront retrouvés, avec l’aide active de la population et des touristes (! ) qui se prêtent au jeu, aidés en cela par une récompense, une pièce en argent de 20 Francs. C’est le prix d’un enfant.

Un seul ne sera pas retrouvé. Jules Bonneau (quel nom, quelle trouvaille !), dit « La Teigne » .

Si toute la première partie est historique, la seconde est « romancée ». Chalandon s’empare d’un vide existentiel, se coule dans la vie de Jules,  se l’approprie, l’imagine, la vit , en dessine  une incroyable réalité. Avec   force et   luxe de détails, sur la marine et la pêche, sur les rencontres avec de belles âmes (il y en a tout de même !) nous allons suivre la renaissance, la résurrection   de Jules, qui devenu mousse, va naitre de cendres jamais éteintes. On croise, des personnages fascinants dont les visages se déminent, un patron de pèche Ronan, qui va lui redonner espoir et valeurs,  et amener peu à peu cet « Enfant Sauvage »  , de l’ombre à la lumière, Sophie une infirmière « faiseuse d’anges », Alain un matelot communiste, mais aussi Paxdo un réfugié basque et tant d’autres.

Jusqu’à Jacques Prévert, en vacances sur l’ile, dont on apprendra comment il a écrit son Poème, « La Chasse à l’enfant »

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu’est-ce qu’e c’est que ces hurlements,

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C’est la meute des honnêtes gens. »

Si la première partie est le terreau d’une vengeance (« Venge nous de la Mine » lisait-on dans « le Jour d’avant », « Venge nous du bagne » pourrait on paraphraser ici ) la seconde partie sera plutôt celle d’une rébellion et d’une rédemption ,    même si la violence et la haine ne pourront  jamais  disparaitre de « la Teigne ».

Ce livre est une splendide fresque historique, humaine, à la Hugo, à la Zola, à la Pierre Lemaitre aussi pourquoi pas, tant on flirte avec la violence allusive de cette époque, on est si loin de la littérature bien-pensante et convenue, le style, l’écriture collent parfaitement à l’histoire. Il existe bien dans ce onzième roman de l’auteur, un style Chalandon, fait de phrases, courtes, sèches, rugueuses, et tellement touchantes.   

« On « ne s’évade pas d’une ile, on longe ses côtes à perte de vue en maudissant la mer ».

« L’océan, c’est notre gardien le plus cruel. Celui qui nous surveille, qui nous épargne ou qui nous assassine ». ?  

« Depuis l’enfance, ne pas parler des choses, se taire était une façon pour moi de ne plus les faire exister ».

« Pour apprécier la terre ferme, il faut goûter de la mer molle. Cet infini qui nous échappe, se dérobe sous la quille, se rue sur l’étrave comme un taureau furieux. Tout ce temps, j’ai espéré affronter ce vent là, ce courant-là, cette violence-là. Pas ce que nous imaginions de l’océan derrière le haut mur, mais lui en face, en personne. Cette immensité bruyante, qui pourrait étouffer notre bateau entre ses bras de mer. Le rompre, en faire du petit bois, alimenter le bucher de nos vanités. « 

Impossible bien sûr de citer un florilège de belles phrases, il y en aurait trop. C’est le mérite de l’écrivain.

Deux remarques. Connaissant bien Belle Ile, j’ignorais tout de cette histoire. Lorsqu’on arrive au Palais, on n’y reste pas, on débarque, on récupère son sac à dos et on rejoint  le sentier côtier pour faire le tour de l’Ile, en cinq jours. (Et qu’elle est belle cette ile !)   J’aurais  désormais du mal à y revenir sans penser à « la Teigne ».

Enfin, Je ne savais pas Chalandon, Breton, Ilien et marin, dans l’âme et le cœur à la fois,  dans sa façon de parler, d’écrire et de partager sa connaissance de la mer, des bateaux et de la pêche.

J’ai aimé ce livre, vous le comprenez. Ce commentaire un peu long n’a qu’un seul, but, vous faire partager l’amour pour cette littérature, si éloignée du nombrilisme français, et en même temps si proche de la douleur et la chaleur intime. Qui mieux que lui, « Enfant de Salaud », pouvait   débusquer les   mots venus de l’intérieur pour évoquer ainsi la souffrance de l’enfance. (La sienne ?). Un grand livre.

Goncourablement Recommandé.  

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