Israël : avec le camouflet de la Cour suprême, l’année commence mal pour « Bibi »

Désavoué par la haute instance judiciaire qui a invalidé sa réforme judiciaire, critiqué pour sa conduite erratique de la guerre contre le Hamas… Benyamin Nétanyahou n’a jamais été aussi impopulaire. Il a le choix entre la démission et la fuite en avant.

René Backmann

3 janvier 2024 à 17h37

La Cour suprême israélienne a rendu lundi une décision qui constitue une victoire pour la société civile et l’opposition. Et une défaite politique historique pour Benyamin Nétanyahou et sa coalition gouvernementale.

Par huit voix contre sept, les magistrats ont invalidé la disposition principale de la « réforme » judiciaire préparée par le premier ministre et son ministre de la justice, Yariv Levin, et votée par la Knesset en juillet 2023. Cette adoption avait eu lieu malgré une mobilisation massive de la société civile et une campagne de contestation de neuf mois : la plus longue et la plus spectaculaire de l’histoire du pays.

Cette disposition prévoyait de retirer au pouvoir judiciaire le droit de se prononcer sur le caractère « raisonnable » des décisions de l’exécutif ou de l’Assemblée législative. Dans un pays qui n’a ni Constitution ni Parlement à deux chambres, aucun contre-pouvoir n’aurait pu faire obstacle aux choix de la majorité gouvernementale.

La voie était ouverte, redoutaient les opposants à cette « réforme », à l’instauration d’un régime « illibéral » sur le modèle, par exemple, de la Hongrie que Nétanyahou considérait avec intérêt et amitié.

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Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou lors d’une réunion de son cabinet à Tel-Aviv (Israël), le 24 décembre 2023. © Photo Ohad Zwigenberg / AP / Pool via Sipa

Et surtout, le premier ministre pouvait ainsi mettre un terme définitif aux poursuites engagées contre lui par les tribunaux depuis cinq ans pour « corruption », « fraude » et « abus de confiance ». Ce qui constituait, davantage que sa vision idéologique, le cœur de son projet politique. Et le ciment de son alliance avec l’extrême droite religieuse, raciste et messianique.

C’est cette dérive anti-démocratique et quasi mafieuse qui a profondément divisé la société et fait descendre dans les rues, chaque week-end, des centaines de milliers d’Israéliennes et d’Israéliens, depuis les employés des start-up de l’informatique jusqu’aux banquiers en passant par les artistes et intellectuels.

Mais aussi des milliers de réservistes des unités d’élite de l’armée – aviation, renseignement, forces spéciales – dont certains renonçaient à leurs périodes de mobilisation, d’entraînement, ou de formation pour manifester.

Ce qui fait dire aujourd’hui à certaines sources proches du pouvoir que les stratèges du Hamas ont mis à profit cette mobilisation de nombreux cadres et la désorganisation de certaines unités, pour lancer leur attaque du 7 octobre.

« Le peuple, constate aujourd’hui le quotidien Haaretz, s’est opposé à la réforme car il avait compris que le gouvernement voulait avoir les mains libres pour prendre le contrôle de la société israélienne, dépouiller les citoyens de leurs droits, imposer dans le pays des lois théocratiques et suprémacistes, annexer tous les territoires palestiniens en vertu d’une vision fanatique messianique, liquider les services publics et légitimiser la corruption. »

Abandonné par une partie de ses électeurs

Nétanyahou, pour l’heure, se tait. Laissant Yariv Levin déplorer que « les juges aient rendu publique leur décision en pleine guerre, ce qui n’est pas en accord avec l’unité dont le pays a besoin », ou son parti, le Likoud, de s’indigner que « des juges non élus imposent leur volonté à des députés élus ».

Que peut-il faire ? Installé dans un rôle autoproclamé de chef de guerre qu’il entretient avec l’aide de médias complices en mettant en scène ses visites aux unités déployées sur le front – casqué et revêtu d’un gilet pare-éclats –, il est aujourd’hui de plus en plus seul.

Lâché par une large fraction de l’opinion publique qui lui reproche son inefficacité dans le règlement du problème des otages, son indifférence, sa désinvolture par rapport à leurs familles et à leurs proches. Abandonné aussi par une partie de ses électeurs, parmi lesquels certains se demandent si sa politique de « gestion » du Hamas, avec l’aide du Qatar, était vraiment si habile.

En conflit avec une partie de l’état-major qu’il a, avec un certain aplomb, rendu responsable de l’impréparation et de la réponse initiale – déficiente – à l’attaque terroriste du Hamas, alors qu’il porte la responsabilité principale de ce désastre. Incapable de formuler une vision cohérente pour l’après-Hamas comme de définir un but de guerre clair et un calendrier précis – ce qui le met en difficulté avec Washington, allié et protecteur historique d’Israël –, il n’est plus approuvé désormais dans ses choix que par 15 % de ses concitoyens et concitoyennes. Jamais l’ex-« Bibi roi des Juifs » n’a été aussi impopulaire.

Enchères politiques et diplomatiques

Ses amis d’hier lui tournent le dos. Ses alliés religieux extrémistes, Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, qui n’ont plus rien à attendre d’un partenaire à terre, jouent leur propre jeu et font monter les enchères politiques et diplomatiques en proposant de réinstaller des colons juifs à Gaza et d’expulser les Gazaouis dans le Sinaï.

Selon Amos Harel, spécialiste des questions militaires de Haaretz qui suit attentivement la conduite de la guerre par Nétanyahou, si celui-ci s’obstine à camper sur ses positions – non à un allégement du dispositif militaire dans la bande de Gaza, non à un nouvel accord sur les otages, non à une discussion sur l’après-guerre –, la pression va augmenter sur ses partenaires du « cabinet de guerre », Benny Gantz et Gadi Eizenkot, membres du Parti de l’unité nationale, afin qu’ils se retirent du « gouvernement d’urgence et d’unité ».

Benny Gantz et le ministre de la défense Yoav Gallant, en désaccord avec les éléments de langage proposés par Nétanyahou, ont refusé, la semaine dernière, de participer à la conférence de presse convoquée par le premier ministre. D’un autre responsable politique, on pourrait attendre une réaction logique, décente. C’est-à-dire une démission. Ce à quoi l’invitait, la semaine dernière, lors d’une manifestation à Tel-Aviv, l’ex-général Guy Tzur qui fut, sous son autorité jusqu’en 2016, l’un des stratèges de l’état-major.

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Mais Nétanyahou, drogué depuis trop longtemps au pouvoir et à ses privilèges, à l’argent et aux honneurs, incapable de reconnaître qu’il a pu se tromper, n’est pas l’homme des décisions décentes.

Encouragé par des décennies d’impunité à faire des choix aventureux, voire irresponsables compte tenu des implications qu’ils comportent, on peut redouter, estime un ancien diplomate, qu’il ne continue à choisir « la fuite en avant, même au prix ou au risque d’une conflagration régionale ».

L’assassinat mardi, à Beyrouth, par la frappe d’un drone israélien de Saleh al-Arouri, dirigeant militaire du Hamas, et de six autres cadres du mouvement islamique dans un quartier chiite de la ville, ce qui implique donc le Hezbollah et ses protecteurs iraniens, pourrait être le premier pas de cette fuite en avant. Si Téhéran, cette fois, décide de franchir sa « ligne rouge ».

René Backmann

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